On observe depuis le début de l’année dernière un ralentissement de l’économie mondiale, sensible notamment en Europe. A l’inverse de ce qui se passe d’habitude, le ralentissement a commencé en Asie et en Europe et se propage plus tardivement aux USA.
L’ampleur du cycle est largement atténuée par les politiques monétaires des états qui sont toujours plus expansionnistes. On en parle en Europe et aux Etats Unis mais également maintenant dans les pays émergents, de l’affaire les cycles à la hausse comme à la baisse sont atténués.
« On anticipe une remontée des défaillances d’entreprises » explique Julien Marcilly, l’économiste en chef de la Coface « mais elle ne sera pas très importante. La demande est moins forte, car il y a beaucoup d’inquiétudes et on est à la fin d’un cycle économique. Les entreprises subissent un coût du travail plus élevé avec des profits à la baisse, mais comme les coûts de financement sont très bas, voire même historiquement favorables, on a une sinistralité limitée. »
« On part d’un niveau de défaillance d’entreprise et compte tenu de la conjoncture on aurait pu s’attendre à bien pire. Mais tant que les conditions de financements sont aussi favorables, l’ampleur des défaillances sera limitée. On est dans une situation assez proche de celle de la fin des années 2000 avec des marchés du travail qui sont de plus en plus tendus, des excès ou mini bulles dans certains secteurs d’activités, mais on n’assistera pas aux éclatements de bulles des années 2008 et 2009. La différence majeure est que les banquiers centraux sont beaucoup plus réactifs, voire même proactifs, pour anticiper et contrebalancer les nouvelles négatives de la conjoncture. Jusqu’à quel moment les banquiers centraux pourront réinjecter des liquidités et maintenir une politique de taux très bas ? C’est sans doute la question qu’il faut se poser mais tant qu’il n’y a pas les signes de formation d’une bulle ou de changement majeur de stratégie budgétaire en Europe ou aux USA, la situation pourrait perdurer quelque temps. »
L’endettement des pays émergents
Il y a une montée tendancielle de l’endettement des entreprises dans les pays émergents. On observe ce phénomène depuis une dizaine d’années. La 1ère raison de ce surcroît d’endettement tient au ralentissement de la croissance économique : plus elle ralentit, plus un acteur économique aura tendance à compenser en s’endettant d’avantage. La 2ème raison est que les conditions de financements s’améliorent, y compris dans les pays émergents. C’est valable en Chine, c’est valable en Turquie pour l’endettement en devises étrangères, c’est valable dans de nombreux pays asiatiques… Résultat, on assiste à un niveau d’endettement des entreprises croissant dans les pays émergents, et donc à une fragilité accrue en cas de crise.
Pour Julien Marcilly, les nouveaux talons d’Achille des pays émergents sont sans doute les grandes entreprises publiques. « Je pense à des entreprises comme Eskom en Afrique du Sud dont la dette de 27 milliards d’euros pèse sur les finances du pays, ou Pemex au Mexique qui compte presque 100 Milliards de dette. On est à la frontière entre du risque souverain et l’endettement des entreprises. On a de gros mastodontes qui sont en mauvaise santé financière, qui doivent être chroniquement soutenus, et qui font peser des risques et des dettes par des états qui ne réforment pas ces acteurs publics. »
Dans certains pays émergents, les états se ré-endettent. On avait oublié le risque souverain ces dernières années, notamment avec l’effacement de la dette en Afrique. C’est aussi dû à la forte baisse des matières premières qui a obligé par exemple la plupart des pays d’Amérique du Sud a se ré-endetter.
Afrique : dépendance aux matières premières
Pour l’Afrique, on retrouve des niveaux de dettes comparables à ceux d’avant l’annulation de dette du milieu des années 2000. « Certes la situation n’est pas la même qu’il y a 15 ans mais on voit le risque souverain se réactiver dans un contexte de croissance faible. Pour Julien Marcilly, on surveillera l’Algérie ou l’Angola qui vivent une croissance forte de leur endettement, mais on regardera aussi, dans une moindre mesure, le Sénégal . « Le pays s’est fortement ré-endetté pour faire des investissements dans des infrastructures et dans le pétrole, avec une manne pétrolière qui pourrait permettre de rembourser ces investissements dès 2023. Mais il ne faudrait pas qu’il arrive au Sénégal la même chose qu’au Ghana, qui pour des raisons de retard dans l’exploitation du pétrole a dû se placer sous la protection du FMI, faute de pouvoir rembourser ses dettes. »
Sur l’Algérie, la position de la Coface reste très prudente. « La transition politique dure, la situation économique précaire et le manque de diversification font que l’Algérie continue à piocher dans ses réserves pour pouvoir assumer ses liquidités. Si il n’y a pas de réforme importante pour favoriser l’attraction des investisseurs, je ne vois pas trop comment la situation peut changer a court terme. On notera toutefois quelques avancées, notamment sur l’assouplissement du 51/49 qui, sur le papier, doit être applicable dans certains secteurs en 2020. Mais l’amélioration sera quoiqu’il arrive très progressive et 2020 sera très difficile » reprend Julien Marcilly.
Pour la Côte d’Ivoire nous sommes dans une année électorale qui augmente fortement l’incertitude « plus le temps passe, moins on y voir clair, et plus les paramètres ressemblent à ce qui s’est passé il y a 10 ans. Même forces en présence, mêmes acteurs … Maintenant je ne pense pas que l’on va reproduire le scénario d’il y a 10 ans car les stigmates de ce qui s’est passé sont encore très présents dans l’esprit de la population. Pour le coté économique, dans ce type de pays où les marchés financiers ne sont pas ni profonds ni liquides, les décisions d’investissement sont longues et patientes, je ne pense pas qu’il y ait de retournement économique majeur à craindre sur les investissements économiques en Côte d’Ivoire. »
La Chine, quels vont être les relais de croissance ?
Du coté Chinois les entreprises sont endettées depuis plus de 10 ans, l’effet du grand plan de relance de 2009 de l’administration chinoise a conduit à ce que les entreprises s’endettent. Cette année, je pense que les risquent s’étendent un peu à d’autres secteurs, notamment à des entreprises du secteur de la consommation des ménages. Dans des secteurs comme l’automobile et les appareils ménagers, le taux d’équipement des chinois est de plus en plus élevé donc il n’ont pas vocation à consommer autant qu’avant ; accentué par les tensions avec les USA qui touchent certaines entreprises des biens de consommation, on observe aussi une détérioration de ces entreprises en Chine. »
C’est d’ailleurs un des grands enjeux des prochaines années que d’anticiper la croissance du marché intérieur chinois avec une augmentation certaine du pouvoir d’achat dans les grandes villes, mais avec un effet moins évident sur la consommation de produits intérieurs et une jeunesse qui se tourne facilement vers les produits importés, ce qui est un facteur de déséquilibre et plutôt nouveau sur la Chine. D’ailleurs on observe depuis le milieu de l’année dernière une prudence dans la relance de l’économie pour ne pas créer des bulles. »
« Le projet chinois de la route de la soie sera en partie un relais de croissance notamment pour les secteurs qui sont en sur-capacité, comme les infrastructures. Mais « la route de la soie » est tout d’abord une vision politique du monde de la part des chinois dont l’objectif est de renforcer l’influence chinoise.
« Si on prend le compte courant Chinois on est à l’équilibre, ce qui reflète bien le rééquilibrage de la croissance chinoise. »
L’Amérique du Sud reste très inquiétante
Le constat global est simple : quand les coûts des matières premières sont bas les économies d’Amérique latine subissent. On observe très peut de signes concrets de diversification économique. « Le constat positif est sans doute le Brésil. On observe une vraie déconnexion entre la présidence et le parlement. Le pays réussit à faire passer des réformes importantes comme celle des retraites qui était très attendue et on parle d’un programme de privatisation et de désendettement très pragmatique loin des slogans politiques » reprend Julien Marcilly.
La Turquie sort de la crise classique des pays émergents
En Turquie on note une vraie amélioration depuis le printemps avec une stabilisation : quand on a un choc positif sur les taux de change cela se transmet à l’économie. Après 2 ans de situation difficile, l’inflation s’est beaucoup ralentie, la banque centrale a pu baisser ses taux. On a donc cassé la spirale négative pour rentrer dans une tendance positive, sous réserve de la situation politique.
La Turquie est habituée a gérer des crises monétaires graves mais les entreprises se sont adaptées et sont capable de faire face.
USA année d’élections : Donald Trump contre le reste du Monde
Le match Chine-USA n’est pas près de finir selon tous les avis. Le pseudo accord passé est basé sur des promesses non contraignantes et il a des visées clairement électorales pour Donald Trump.
Pour Julien Marcilly « On assiste à un combat de boxe entre les Etats Unis, champion très puissant à l’égo sur-dimensionné, et la Chine championne du dopage, des politiques budgétaire et économique très expansionnistes, qui font que les entreprises ne sentent pas les réels effets du protectionnisme. »
« L’économie des deux pays n’étant plus très florissante, ils ont intérêt tous les deux à calmer les tensions. » Mais le fond reste dans une tendance de protectionnisme américain et peut être dopé à tout moment par des promesses de campagne électorale de Donald Trump qui peut récuser sa parole pour gagner quelques points dans des sondages. « Je pense que Donald Trump va faire des annonces symboliques comme il l’avait fait juste après son entrée à la Maison Blanche sur les machines à laver ou comme il l’a fait en fin d’année dernière avec certains produits agricoles européens. Reste à savoir ce qu’il peut annoncer pour se relancer dans sa campagne. Le risque ultime serait que Donald Trump n’utilise pas les menaces de droits de douanes mais interdise les importations de certains produits » explique Julien Marcilly.
Le scénario pour les USA pour 2020 est donc emprunt d’incertitude, la Coface privilégie un scénario de croissance faible avec un ou deux trimestres de croissance négative qui se redresse, mais le tout donne un très net ralentissement.
« Quel que soit le résultat des élections américaines, même avec une hypothèse démocrate, on n’effacera pas les mesures de protectionnisme très facilement car ces mesures sont très populaires ».
Brexit : l’année 2020 sera longue
Pour 2020 en Europe l’ensemble des efforts pour les négociations internationales sera porté sur le Brexit. Une sortie au 1er février, de multiples accords à négocier dans tous les domaines, le besoin de ratification des accords ou de l’accord par tous les parlements nationaux rend le calendrier impossible.
« Secteur par secteur, les négociations vont être difficiles et vont engendrer de l’agitation et de multiples annonces qui vont déstabiliser les marchés » reprend Julien Marcilly. « On évite un choc financier majeur avec une décision de sortie rapide, ce qui est déjà une bonne chose. Mais nous observons une augmentation de la sinistralité au Royaume Unis du fait des incertitudes. Et cette sinistralité va continuer en 2020 car il n’y a pas de relais de croissance possible. »
« Ce que laisse miroiter Johnson, c’est l’abaissement massif des prélèvements sur les sociétés, une fois le Brexit réalisé. Son programme est dans la réalité irréalisable car l’endettement du Royaume Unis est déjà important, ce qui lui laissera une marge de manoeuvre limitée. A court terme, un relais de croissance avec un accord commercial avec les USA est utopique en année électorale américaine, et si il compte sur le commonwealth pour repartir cela va prendre quelques années. Le scénario que nous privilégions sur la Grande Bretagne est donc très prudent. »
Le risque social est la grande incertitude de 2020
Depuis quelque années la Coface a développé son propre indicateur du risque politique intégrant le risque social. C’est sans doute l’enseignement du printemps arabe où on a pu observer que deux conditions doivent être réunies pour qu’il y ait un changement politique. La 1ère condition c’est la frustration sociale avec des indicateurs comme la corruption, les inégalités de revenus, le chômage, l’inflation… La 2ème condition est que la population ait les moyens de s’exprimer ; là ce sont des indicateurs comme l’accès à Internet, le taux d’urbanisation … Ces indicateurs ont été mis en place à la Coface sur tous les pays du monde. Les évènements de 2019 et le niveau des indicateurs semblent donner raison à la Coface sur la pertinence de l’outil mis en place. « Pour 2020 en prenant en compte ce qui s’est déjà passé en 2019, on retrouve dans les pays à fort risque la Russie, dont le niveau des indicateurs augmente de façon sensible, mais aussi un pays comme le Maroc où je pense que l’on sous-estime la montée en puissance de la frustration sociale et sur lequel on se doit de lancer des alertes. L’autre grand pays sur lequel nos grands indicateurs sont dans le rouge est la Chine. »
Pour Julien Marcilly ce n’est pas très surprenant, « le pacte social chinois était basé sur le fait que la limitation des libertés individuelles soit réduit en échange d’une augmentation du niveau de revenu et du niveau de vie qui rende la chose acceptable. La croissance n’étant plus importante cela rend le pacte social fragile. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que les autorités chinoises sont aussi embêtées avec la contestation hongkongaise, elles ont peur d’une propagation sociale au reste de la Chine. Bien entendu il ne faut pas en conclure que la Chine va rentrer dans des troubles sociaux très importants en 2020 mais il faut en tenir compte dans des analyses sur des investissements sur la Chine.
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