Interview jean Michel Thillier, Directeur adjoint des Douanes
C’est un peu l’arlésienne du commerce extérieur, mais cette fois c’est parti pour de bon. Nous avons demandé au n°2 des douanes françaises, Jean Michel Thillier, de nous détailler le processus et les étapes qui sont devant nous pour cet accord de sortie de l’Union Européenne, premier du genre, et qu’on espère le dernier tant la manœuvre est complexe.
A l’heure où nous paraissons, nous avons deux certitudes : la 1ère c’est que le Brexit aura bien lieu car la ratification au parlement britannique comme à la chambre des Lords étaient les dernières étapes coté anglais, la 2ème c’est que le parlement Européen ratifiera l’accord le 30 janvier car c’est de façon unanime que l’ensemble des pays européens condamnent les atermoiements britanniques.
Pas de panique : il y a une période de transition
Mais attention, pas de panique ce n’est qu’un point de départ d’un processus et il ne va rien se passer le 1er février ni même avant la fin de la période de transition, c’est à dire jusqu’au 1er janvier 2021.
« Nous avons 1 an pour négocier plusieurs accords dont un accord de libre échange », explique Jean Michel Thillier, « les britanniques ont encore la possibilité de demander jusqu’à fin juin un report de la date effective du Brexit qui a été fixée au 1er janvier 2021, car le délai est très court. Dans la période de transition rien de changé, sauf que les anglais ne participent plus aux travaux de Bruxelles. Toutes les procédures actuelles restent valides, tous les accords sont les mêmes. Le Royaume Uni reste dans l’Union Européenne jusqu’au 31 décembre 2020. »
Pas d’accord douanier avec le Royaume Uni
« L’idée est de signer entre l’UE et le Royaume Uni un accord de libre échange comme nous l’avons fait déjà avec le Canada, le Japon, Singapour … Car il est certain qu’il n’y aura pas d’accord douanier avec le Royaume Uni, l’accord de sortie ne le permet pas. La difficulté va être de s’accorder sur le modèle d’accord de libre échange que nous allons choisir, ce qui va conditionner ensuite nos négociations. » reprend Jean Michel Thillier.
« Dans ce type de négociation, chaque partie fait valoir ses priorités et chacun voudra protéger des secteurs. Avec l’équipe de Michel Barnier qui est à la manœuvre, nous devons définir une position européenne commune dans les grandes lignes, fixer les lignes rouges que nous ne voulons pas dépasser et les grandes priorités d’ici fin février. A partir de ce moment là, début mars, nous allons pouvoir rentrer dans les négociations. C’est à chaque secteur économique de définir ses intérêts offensifs et défensifs d’où l’importance dans chaque filière de cette première période. »
« L’origine européenne » sera l’enjeu de la négociation
L’enjeu selon Jean Michel Thillier ne va pas être dans la négociation des droits de douanes qui sera âpre mais classique. « L’enjeu va être de définir les règles d’origine pour les produits en fonction notamment des secteurs. La négociation va donc porter sur les règles de détermination de l’origine, par secteur, par filière, le % d’ouvraison nécessaire, le seuil de plus-value … Pour toutes les entreprises qui ont une partie de leur fabrication ou de leurs composants en Grande Bretagne, il va falloir recalculer pour savoir si l’origine communautaire peut s’appliquer ou non. Cela entraîne des conséquences nombreuses, qui peuvent être pécuniairement lourdes, à la fois dans l’attribution de marchés intra-communautaires, pour les entreprises qui exportent sous couvert d’accord bilatéraux avec la Corée, le Japon, le Canada … et sur les niveaux d’exigences documentaires dans de nombreux pays … »
« Avec l’analyse de la chaîne de valeur du produit on peut définir le risque de mettre en péril l’origine communautaire du produit. »
Le tout devra être fixé et négocié d’ici fin octobre pour laisser le temps à chaque pays européen de ratifier l’accord de sortie, ce qui là aussi va engendrer possiblement des difficultés.
Les formalités c’est pour le 1er janvier 2021
Par contre, dans tous les cas, janvier 2021 verra la mise en place des formalités entre nos pays à la fois pour les personnes physiques mais aussi pour les marchandises puisque dans tous les cas le Royaume Uni sera un pays tiers, avec les formalités qui s’imposent. « A ce jour on peut considérer que tous les régimes de simplifications européens seront remis en cause : les perfectionnements actifs, passifs, les facilitations diverses ne seront plus à l’ordre du jour. »
« Pour les entreprises françaises qui ont une filiale de droit anglais, même formalités. Car ce sont bien des entreprises anglaises même si les capitaux sont français. Et il n’y aura pas de période de transition : on va passer directement à la matérialisation de la frontière et aux formalités.»
« Cela va être violent et c’est très similaire aux scénarios que nous avons préparés pour le Brexit dur »
Pour certains secteurs il est évident que des ententes devraient être assez vite trouvées ; par exemple Airbus : « les ailes de l’Airbus viennent du Royaume Uni, on ne peut pas changer un mode de fabrication d’un appareil facilement, il faudra donc, sur ce secteur, être souple sur le sujet. Et nous n’excluons pas en cas de problèmes dans les négociations un Brexit dur en fin de période.»
L’inquiétude de Jean Michel Thillier n’est pas de savoir si il va être prêt : il pense l’être, plus de 600 collaborateurs ont été recrutés et formés, il reste à en recruter encore une centaine et plus de 50 M€ on été investis. « Mon inquiétude vient du coté anglais, j’ai des doutes sérieux sur la solidité de leur système informatique actuel que je ne pense pas être capable d’absorber l’augmentation de la volumétrie de données et de déclarations qui vont doubler ou tripler. Ils attendent un nouveau système mais celui-ci est visiblement loin d’être prêt. »
Comme dans tous les accords, c’est l’agriculture et l’agroalimentaire qui vont être les plus difficiles à négocier car ce sont des sujets sensibles. Mais nous auront aussi tous les enjeux des documents et certifications dans le domaine de la santé, dans le domaine agroalimentaire, dans le domaine de la sécurité … Si il n’est pas certain que des droits de douanes soient mis en place, la certitude sera que des barrières non tarifaires de type réglementaires seront érigées.
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