Le manque de compétitivité des chaînes logistiques nationales pénalise l’économie française. Face à ce constat, l’Etat et les professionnels privés du secteur ont décidé de bâtir ensemble la stratégie logistique de la France. Ses grandes orientations seront fixées par des Comités interministériels annuels dédiés à la filière.
Sans appel, les conclusions du rapport sur la compétitivité des chaînes logistiques en France remises le 16 septembre au Premier ministre Edouard Philippe, croisent les indices de performance publiés par la Banque mondiale. Amplifiées par les mouvements sociaux menés sur les réseaux de transport et les ports nationaux fin 2019, elles soulignent le manque d’efficacité du passage aux frontières et de facilité des expéditions à l’international. Pis, elles rappellent que les scores de performance logistique de la France publiés par la Banque mondiale sont globalement stables entre 2007 et 2018. Cette stabilité confirme l’adage selon lequel « qui n’avance pas recule », le classement de la France est passé ainsi de la 12e à la 16e place sur la période loin derrière le top 5 composé en 2018 de l’Allemagne, la Suède, la Belgique, l’Autriche et le Japon. « Il n’y a pas de dynamique de remontée du retard français par rapport aux voisins européens du Nord », relève le rapport sur la compétitivité des chaînes logistiques en France co-rédigé par Eric Hémar, président d’ID Logistics et de l’Union TLF, et Patrick Daher, président du groupe Daher. « Les faiblesses françaises qui apparaissent en matière de performance de la chaîne logistique sont notamment la faible qualité des infrastructures et services ferroviaires, et les pesanteurs administratives, nonobstant une amélioration sur les processus douaniers ».
Scores et classement agrégé de la France dans l’indice de performance logistique de la Banque mondiale
entre 2012 et 2018
Nouvelle ambition nationale
Face à ces constats, un plan d’actions composé de six mesures extraites des recommandations du rapport a été lancé par le Premier ministre. Support au « Pacte productif 2025 » pour relancer l’industrie française et en synergie avec la démarche nationale « Territoires d’industrie », ce plan prévoit la création de points de contact uniques aux frontières intégrant les douanes, les services vétérinaires et phytosanitaires ainsi que la DGCCRF. Avec pour objectif de fluidifier et d’accélérer le transit des marchandises au moyen d’un « interlocuteur unique », les ports de Dunkerque et du Havre expérimentent ce dispositif cette année avant une généralisation prévue en 2021. La simplification des procédures pour l’implantation des entrepôts logistiques en France est au cœur de la 2e mesure en élargissant, notamment, le champ du régime d’enregistrement. En parallèle, une réforme de la fiscalité sera conduite pour éviter la requalification des entrepôts en locaux industriels qui a pour conséquence d’augmenter de façon sensible leur imposition.
Voix unifiée du privé au sein de France Logistique
Trois autres mesures renforcent l’information sur la filière afin de relever plusieurs défis. L’une d’elles consiste à mener un benchmark européen sur la réglementation dans le transport routier de marchandises pour apprécier les besoins d’harmonisation, sur les temps de travail en particulier. Pour accompagner la transformation des métiers de la filière, un plan d’actions spécifique sera déployé jusqu’au printemps 2021 autour de ses besoins en main d’œuvre et compétences, de formations et de parcours professionnels. Enfin une nouvelle plateforme numérique centralisant les données logistiques verra le jour d’ici fin 2020.
La 6e mesure vise à structurer et à coordonner sur la durée l’évolution du secteur. Sur l’exemple du maritime avec le Comité France Maritime, une nouvelle plateforme baptisée France Logistique a été créée le 8 janvier. « L’enjeu est notamment de s’assurer que les biens importés et consommés en France transitent par les ports, aéroports et entrepôts français afin de créer sur notre territoire, la valeur et les emplois associés », fixe le secrétaire d’Etat aux Transports Jean-Baptiste Djebbari.
Présidée par Anne-Marie Idrac, France Logistique couvre tous les transports terrestres, les interfaces terre-mer-air et les activités logistiques. Son Conseil d’administration se compose à parité d’un collège d’organisations et associations professionnelles (FNTR, TLF, TLF Overseas, OTRE, ASLOG, AFILOG et AUTF), et d’un collège d’entreprises souhaitant adhérer à la démarche. « Dans ce 2e collège, l’adhésion est libre avec la volonté de rassembler des entreprises de toutes tailles présentes sur tous les maillons de la chaîne logistique », précise Anne-Marie Idrac. Chargé d’alimenter France Logistique « en données structurées sur la filière », un Conseil scientifique composé de l’Université Gustave Eiffel (ex IFSTTAR), du CRET-LOG, du CNR et de l’AFT assiste ce Conseil d’administration. Au cas par cas selon les sujets traités, celui-ci s’appuiera également sur les travaux de fédérations professionnelles « partenaires » que sont France Industrie, la FCD, la CGI et la FEVAD. « France Logistique n’est pas une organisation professionnelle de plus. Elle traitera des sujets communs à l’ensemble de la chaîne logistique sans se substituer aux compétences des différentes fédérations existantes », prévient Anne-Marie Idrac.
Champs d’actions
Pour replacer la France au premier plan des acteurs de la logistique mondiale, France Logistique poursuivra cinq champs d’actions prioritaires. Autour des formalités et contrôles aux frontières, la fiscalité et les procédures administratives foncières, le 1er vise à simplifier et à favoriser la compétitivité de la filière. S’ajoute la transition écologique via, notamment, la promotion d’engagements contractuels publics-privés et d’éco-labels ainsi que l’attractivité et l’image de ses métiers. La définition d’une « gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GEPC) » propre au secteur est annoncée. Figure aussi la logistique urbaine avec l’ambition de définir de nouveaux modes d’organisation durables fondés sur de bonnes pratiques et une approche plus « scientifique ». A une échelle de temps plus longue, France Logistique participera à l’élaboration de schémas d’organisation logistiques sur le territoire. Croisant ce champ d’action, le secrétaire d’Etat relève les enjeux multimodaux via la massification « utilisant la voie d’eau ou le ferroviaire de et vers les grands ports maritimes français », et le soutien « de zones d’implantation logistiques et de plateformes intermodales le long de la vallée de la Seine, de la vallée du Rhône et de l’axe Nord ».
Pour évaluer l’avancée de ces travaux, France Logistique prévoit la mise en œuvre d’indicateurs de performance. D’ici fin 2020, ils seront présentés sous la forme d’un baromètre une à deux fois par an.
Comité interministériel de la logistique annuel
Sur cette base, la jeune association financée par les fédérations, associations et entreprises membres, remontera les projets et propositions communes de la filière aux pouvoirs publics. Pour ce faire, son Conseil d’administration siègera au sein d’une instance appelée Comité exécutif mensuel de la logistique. « Piloté par la DGITM du ministère des Transports et par la DGE, Direction générale des entreprises du ministère de l’Economie et des Finances, ce COMEX est une instance de dialogue publique/privée qui a pour missions d’étudier, d’élaborer et de veiller à la mise en œuvre des décisions concernant l’ensemble de la filière. Il préparera les Comités interministériels de la logistique (CILOG) » dont le 1er est prévu d’ici fin mars espère Anne-Marie-Idrac. Dans ce cadre, la DGITM et la DGE ont nommé, chacune, des chefs de projet dédiés dont la mission sera de relayer et d’animer auprès de toutes les autres administrations publiques les travaux décidés lors des réunions mensuelles du COMEX. Sujet sensible pour tous les acteurs de la filière, ce dialogue public/privé doit « garantir que la fiscalité applicable au secteur ne pénalise pas sa compétitivité et fluidifier le passage aux frontières en confiant aux services douaniers un rôle de point de contact unique pour les entreprises », insiste Jean-Baptiste Djebbari. Au-delà, cette gouvernance publique-privée se fixe pour objectif de hisser la performance logistique de la France dans le top 10 mondial.
Erick Demangeon
Constats du rapport Hémar-Daher
Le rapport Hémar-Daher sur la compétitivité des chaînes logistiques en France a dressé sept grands constats :
. Le passage des frontières est perçu comme peu favorable aux entreprises
. Les offres de transport massifié sont peu performantes
. Les coûts et délais dans l’immobilier logistique sont plus élevés en France que chez nos voisins européens
. Les coûts de transport routier sont plus importants en France que chez les voisins d’Europe
. Le secteur est mal connu, peu visible et peu attractif
. Pas assez d’énergie et de recherche sont consacrées à la logistique
. Une gouvernance publique/privée dispersée
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