L’Afrique fait aujourd’hui l’objet de toutes les convoitises, est-elle le dernier relais de croissance mondial ? Ou un facteur de risque incontrôlable ? Credendo, l’assureur crédit Belge, quasi centenaire, et très attentif sur la zone nous fait par de son analyse africaine.
« On assiste à une augmentation importante de la dette en Afrique particulièrement en Afrique subsaharienne» explique Nabil Jijakli le CEO de Credendo, « Il faut dire que l’on part d’une situation très favorable avec une baisse très importante dans les années 2000 : le process d’annulation de la dette de la conférence de Paris en même temps qu’une augmentation des revenus grâce à l’envolée du prix des matières premières a créé dans cette période une situation très favorable. Mais depuis 2014 la situation se dégrade et l’augmentation de la dette publique africaine est importante. On était descendu à 20% d’endettement en 2008 on arrive à 50% aujourd’hui. »
La dette chinoise en plus !
« Plus que la dette, c’est la capacité de remboursement qu’il faut regarder et en fonction des états et de la nature des investissements les situations des pays vont varier. Mais surtout cela dépend à quoi sont consacrés les investissements : sont-ils d’infrastructures de base et par là même ils n’auront pas de rentabilité court terme et n’offriront pas de possibilités de rembourser la dette ? Ou sont-ils producteurs de devises ? La plupart de l’endettement est réalisé en devises étrangères, ce qui reste un problème pour de nombreux pays. Le deuxième problème de l’endettement Africain est la Chine. C’est un endettement caché. On ne sait pas où est logée une partie de la dette. On ne connaît pas les montants, par exemple au Congo Brazzaville on estime que 50% de la dette est cachée avec des accords avec la chine et cela modifie complètement notre analyse du pays. »
Les instances internationales essayent d’intégrer la Chine dans les négociations internationales car l’intérêt de tous est de limiter les risques futurs. Il y aura à terme plus de transparence car il y a une prise de conscience des chinois qui ont besoin dorénavant d’être remboursés.
Le deuxième point a surveiller pour Nabil Jijakli est le prix des matières premières. « Beaucoup de pays en Afrique sont dépendants des matières premières, pétrole et gaz, mais aussi de nombreux minerais. Les prix sont plus favorables qu’en 2015 mais ils restent fragiles. »
« Troisième grand danger : l’émergence de conflits ou le développement de ceux-ci. On a des conflits sur presque l’ensemble du continent, au Sahel, en Afrique Centrale, à l’est de l’Afrique »
Maghreb, le Maroc est le bon élève de la classe
« Le Maroc fonctionne bien et depuis longtemps avec une stabilité politique, un roi qui reste populaire, une économie redistributive notamment sans le domaine de l’énergie. C’est un modèle de développement. Le pays n’a pas de ressources énergétiques et a développé des parcs solaires et des énergies alternatives.»
« Le reste du Maghreb est beaucoup plus inquiétant, l’Algérie est en panne de décision politique et n’arrive pas a sortir des hydrocarbures. Le pays est classé 4 en risque politique mais ne présente pas de risque à court terme car le pays n’est pas endetté et a plus de 2 années de réserves. Mais celles-ci ont très largement diminué. L’enjeu est de juguler un chômage endémique des jeunes de 30% mais qui passe par une réforme de la gouvernance économique et politique. »
« La Tunisie est décevante et l’absence de gouvernance stable pèse sur l’économie. »
Ethiopie et Cote d’ivoire en année électorale
En Côte d’Ivoire, pour Credendo, l’incertitude est forte : « tous les éléments de la précédente crise d’il y a 10 ans sont en place, les rancoeurs sont encore là, on a les mêmes acteurs ou presque que pour les élections précédentes, un leader de l’opposition qui est sous mandat d’arrêt dans son pays, un président qui ne peut plus se présenter mais qui semble s’accrocher au pouvoir. Tous les éléments sont en place pour une nouvelle confrontation. Nous pensons qu’elle sera pacifique et que la détérioration n’ira pas jusqu’à la guerre civile mais ces élections vont engendrer des incertitudes avant et après. »
« La Côte d’Ivoire a un rôle majeur dans la région car c’est un grand pays, fort économiquement, et son instabilité aurait des conséquences sur les pays voisins. Nous avons d’ailleurs dégradé la note du pays à moyen terme pour marquer notre prudence. Mais la gestion du pays est bonne.»-
En Afrique de l’Est et notamment en Ethiopie, le 1er Ministre Abiy Ahmed est un réformateur, il veut changer la donne, il favorise l’ouverture démocratique et la libéralisation de l’économie.
« Mais on assiste à de en plus en plus de tensions ethniques, les élections qui favorisent l’expression de ces tensions ne devraient pas apporter de changement car la popularité devrait être suffisante pour que Abiy Ahmed soit réélu. C’est un pays qui a un fort taux de croissance mais il est très endetté et connait régulièrement des pénuries de devises. On reste pour nous sur un pays très risqué dans des cotations de niveau 6 sur une échelle de 7 à court-moyen terme. »
L’annonce de l’Eco sera un des grands moments économiques de cette année
« L’annonce de l’Eco à la place du Franc CFA, a été plus rapide que prévue pour couper court à la montée en puissance de l’anti colonialisme. Les pays de la zone CFA sont toujours mieux notés dans nos bases car la monnaie est stable et garantie par l’euro. On est attentif au contenu de cette réforme et notamment de cet aspect convertibilité qui, si elle maintenue à court terme, pourrait devenir flottante à moyen terme, ce qui peut engendrer des incertitudes. »
« La grande interrogation va être sur la gestion des réserves de changes qui seront dorénavant basées en Afrique, ce qui peut être problématique si les pays de la zone ne sont pas stables politiquement et donc économiquement. »
Le Congo RDC en phase de stabilisation
Dans le Congo RDC, le Président Tshisekedi est encore muselé par la présence très importante du clan Kabila, qui a réussi son coup de force politique. On constate deux camps qui cohabitent au sein de l’Etat de façon complexe et tirant chacun à eux les rênes d’un pouvoir encore à établir.
Le nouveau Président n’a pas le parlement avec lui, ce qui nuit à sa marge de manoeuvre et on ne peut pas exclure la possibilité qu’il y ait des Elections intermédiaires. Le pays est toujours marqué par les conflits à l’Est comme dans le centre, mais la manne minière est gigantesque et offre des possibilités de business très importantes. On reste très prudent sur le Congo 6 sur le Court terme, 7 sur le Moyen long terme. Mais ouvert sur le court terme.
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