Jamais, sans doute, le contexte économique n’a été aussi complexe à décrypter sur la Grande-Bretagne. Entre un Boris Johnson ultra volontaire et un Brexit extrêmement poussif, il est bien compliqué de trouver des repères, d’autant que le plus difficile du Brexit est devant nous et non pas derrière nous.
Si le système a l’air de bien fonctionner coté européen, ce n’était qu’un rodage. Car pour le moment, les Anglais ont suspendu et les déclarations et les contrôles. Les prochaines échéances, à partir du 1er janvier, vont rythmer la véritable mise en place du Brexit.
Jean-Michel Thillier est le Directeur des Douanes du Nord de la France en charge du Brexit. Il est aux premières loges de ce premier acte de divorce d’un Etat et de l’Union Européenne, avec toutes les complexités que cela représente de remettre une frontière là où elle avait disparue.
« Nous avons été très compréhensifs dans cette première phase » explique Jean-Michel Thillier, en réponse à certaines critiques d’entreprises qui trouvent que la mise en place du Brexit est complexe. « On ne fait qu’appliquer la législation, et encore… Nous avons accordé de nombreuses souplesses. Aujourd’hui on va devenir plus strict, avec les camions ou les entreprises qui ne préparent pas leurs formalités en amont, car elles grippent le système sans raison. »
A l’import, on est proches de la fluidité
Le passage de la frontière et le système d’information SI Brexit est pour Jean-Michel Thillier un vrai succès. « 9 camions du 10 passent la frontière sans s’arrêter, exactement comme avant, contre 25% en début d’année. Côté français, la fluidité est là et les infrastructures sont bien adaptées. » Pour le Directeur des Douanes on est proche de la fluidité et ses efforts vont maintenant porter sur ceux qui ne préparent pas leurs déclarations en amont. La Douane va commencer à sévir et à donner des amendes.
« Il reste à faire des efforts de notre côté sur le circuit « export » notamment pour que les exportateurs retrouvent de façon systématique leurs attestations de sortie du territoire. Certains chauffeurs ne présentent pas les bons codes à barres MRN et il se peut que certaines déclarations ne soient pas apurées. » reprend Jean-Michel Thillier. « La perte d’information est assez significative. Il faut que l’on fasse des efforts pour expliquer le fonctionnement des enveloppes logistiques douanières aux entreprises qui peuvent contenir plusieurs déclarations et donc plusieurs MRN de marchandises différentes dans un seul camion. Il faut aussi que l’on résolve certains bugs informatiques, dans notre propre système, que nous avons bien identifiés. »
Côté Anglais les choses semblent plus compliquées. Il y a un manque très important de douaniers formés, que l’on estime encore à plusieurs centaines. Ils sont partiellement remplacés par des contractuels qui travaillent sous la surveillance de douaniers. De plus, l’ancien système de déclarations douanières anglais baptisé Cheef est à bout de souffle. Il a 25 ans d’âge et aurait dû être remplacé depuis plusieurs mois par un nouveau système baptisé CDES, en cours de déploiement. Résultat, les Anglais ont suspendu les obligations de déclaration pour les Britanniques qui pourront théoriquement apurer plus tard leurs déclarations douanières. Cette mesure transitoire leur a laissé une année supplémentaire pour s’adapter.
Un premier semestre à risque
Tout ceci prend fin au 1er janvier 2022 pour les marchandises et au 1er juillet 2022 pour les contrôles ICS.
C’est donc au 1er semestre 2022 que la réalité du Brexit va être éprouvée des deux côtés de la frontière. C’est notamment la fluidité du trafic import dans l’Union européenne qui risque de poser problème, à l’image du système SI Brexit européen qui associe les plaques d’immatriculation des véhicules aux déclarations douanières le système anglais GVMS n’a pas encore été testé dans les conditions réelles et on ne connait pas encore ce qu’il fournira comme données. Une réunion devrait avoir lieu mi-novembre entre les douanes des deux côtés du Chanel pour clarifier ces points.
Du côté sanitaire les choses sont encore moins claires, mais il reste encore six mois pour mettre les choses au point. C’est tout de même court pour un système aussi stratégique.
Coté anglais on entre donc dans une période de flou douanier. Le retard de déclaration ne sera probablement jamais comblé. Cela aura pour conséquence l’absence de preuve d’exportation dans cette période transitoire pour de nombreuses entreprises et un flou juridique à la clé notamment en matière de droits de douanes et de TVA.
Coté normatif c’est la même chanson : la norme CE n’est plus reconnue depuis quelques mois avec une période transitoire allant jusqu’au 1er semestre 2022. Toutes les entreprises vont devoir se faire labelliser UKCA. Une norme qui ressemble presque à la norme CE. L’adaptation ne devrait donc pas être très compliquée, encore faut-il se faire certifier et présenter les dossiers auprès des organismes accrédités qui commencent à être engorgés.
Les enjeux de main-d’œuvre touchent tous les secteurs
Tout cela n’est sans doute pas bien grave à côté du manque cruel de chauffeurs de camions et de main-d’œuvre dans certains secteurs de l’économie anglaise qui, eux, ralentissent l’économie et créent des pénuries.
Dans tous les cas la croissance économique n’aime pas l’incertitude. Boris Johnson aura du mal à convaincre que son nouveau libéralisme va engendrer de la stabilité et de la croissance durable avant quelques années.
Aujourd’hui les chiffres, notamment d’exportation anglaise, ne sont pas en sa faveur. Mais que valent ces chiffres quand on n’est pas capable de savoir ce qui est sorti du territoire ?
La suite… le 3 février 2022
On finira ce constat par le côté politique de l’accord irlandais, contesté par les Anglais aujourd’hui et pourtant signé il y a 1 an. Côté Français on n’est pas prêt à créer une passoire douanière dans l’Union Européenne. Le moment est toutefois bien choisi par les Anglais pour contester. Suite aux élections, les coalitions allemandes ne sont pas encore claires et l’approche des élections en France engendrent des préoccupations bien loin des affaires irlandaises.
Un seul conseil dans ce contexte, procéder avec prudence et anticipation pour ne pas se faire surprendre. On suivra avec attention les évolutions. Un point devrait être fait avec les entreprises et l’administration le 3 février prochain lors d’un colloque organisé par Classe Export et de nombreux organismes qui feront l’état de l’art et donneront des pratiques sur ce sujet épineux.