Interview Emmanuelle Butaud-Stubbs, Délégué Général du Comité français de l’International Chamber of Commerce (ICC)
Le nouveau Délégué Général d’ICC-France, Emmanuelle Butaud-Stubbs plaide pour une meilleure maîtrise des règles du commerce international. Au-delà des règles Incoterms qui sont édictées par l’ICC, elle pense que les grands accords de libre-échange, notamment ceux – très nombreux – négociés par l’Union européenne, sont devenus aussi des outils de référence pour les entreprises à l’international.
Vous connaissez surement les Incoterms ? Ils ont été créés en 1936 et sont mis à jour tous les 10 ans par l’ICC, qui est la première organisation mondiale des entreprises mobilisée depuis sa création en 1919 pour élaborer les outils, contrats-modèles et règles facilitant les opérations de commerce international. La nouvelle mouture, destinée à être intégrée dans les contrats de vente internationaux, est d’ailleurs entrée en vigueur en janvier 2020 et fait l’objet d’un programme massif de formation dans les entreprises.
Pour le Délégué Général d’ICC-France, les entreprises européennes, et les PME en particulier, ne maîtrisent pas suffisamment les accords de libre échange qui sont pourtant, à ses yeux, des outils de leur compétitivité à l’international.
« Nous sommes dans une phase de prise de conscience, au sein de la Commission Européenne, que le taux d’utilisation des accords de libre-échange, qu’elle a mis des années à négocier, n’est pas forcément très élevé au sein de tous Etats-Membres » explique Emmanuelle Butaud-Stubbs. « La DG Commerce a compris, qu’après la phase de négociation, il fallait organiser une phase de pédagogie, et de promotion dans chacun des Etats pour que les entreprises s’y intéressent et les utilisent. Mais faute de moyens, c’est-à-dire de corps intermédiaires ou d’organismes spécialisés en capacité de toucher les entreprises sur les territoires, ce sont souvent les grandes entreprises et les ETI qui sont réellement au courant et qui peuvent bénéficient de l’ensemble de ces nouvelles opportunités. »
« Les accords UE Canada et UE Japon qui sont récents sont-ils assez connus par les entreprises, et notamment des PME ? » s’interroge Emmanuelle Butaud-Stubbs. « Dans l’accord UE Canada on a par exemple dans le textile une dérogation à la règle de la double transformation, tout à fait spécifique. Dans les accords UE Japon il y des subtilités à intégrer au moment des formalités douanières en matière de règles d’origine si l’on veut bénéficier de la disparition des droits de douane, et il convient de s’y intéresser. »
Quelle stratégie pour l’Europe ?
Quelles vont être les intentions de l’Union européenne aujourd’hui en matière d’accords internationaux ? Pour Emmanuelle Butaud-Stubbs on va rentrer avec la nouvelle Commission européenne installée le 1er décembre dans une phase de politique commerciale plus « assertive », cela veut dire que les demandes d’ouverture des marchés publics, de réciprocité dans les engagements, de partage des efforts en matière de lutte contre le changement climatique… vont être examinées de plus près par l’Union Européenne et qu’elle sera plus offensive vis-à-vis de ses partenaires commerciaux.
« En dehors des négociations engagées avec l’Australie et la Nouvelle Zélande qui risquent de rencontrer des difficultés par rapport à l’accord de Paris pour l’Australie, en sus des enjeux dans le domaine agricole, je pense qu’on va sans doute assister à une sorte de « pause » de la part de la Commission par rapport aux 5 dernières années pour permettre aux Etats et aux acteurs économiques de digérer les précédents ALE et d’en tirer le meilleur bénéfice en sachant que le calendrier prévoit la mise en oeuvre des accords Vietnam et Mercosur. »
Pour le délégué général de l’ICC il faut déjà mieux utiliser les accords existants, mieux valoriser ce qui a été négocié et mis en place avant de s’engager dans de trop nombreux nouveaux accords. « Il y a une vraie nécessité de tirer un bilan compréhensible par le plus grand nombre des bénéfices que l’on peut retirer des accords de libre-échange. »
« La mondialisation ne va pas s’arrêter, comme le prétendent certains, mais elle va ralentir et se transformer. On va assister à un regain des échanges au niveau régional. Au niveau de l’Europe, nos régions préférentielles de proximité sont les pays du bassin méditerranéen, l’Afrique, les pays des Balkans, candidats à l’adhésion, la Turquie avec laquelle nous avons une relation compliquée ou encore la Russie et bien sûr, avec le Royaume-Uni, partenaire avec lequel nous espérons un accord de libre-échange opérationnel et robuste au plus vite.
« Pour l’Europe, il va falloir défendre, moderniser, et expliquer son modèle d’économie sociale ouverte de marché vis-à-vis de modèles concurrents comme celui des Chinois ou le modèle américain version Trump qui repose sur des décisions unilatérales au nom du principe « America first »
La coopération multilatérale étant pour le moment moins à l’ordre du jour, ce qui préoccupant par rapport aux grands enjeux, Emmanuelle Butaud-Stubbs conseille à court terme, aux entreprises à de se concentrer sur leur business « back to basics », d’utiliser au mieux tous les outils existants, les accords et les règles en place permettant de commercer et d’investir dans des conditions sécurisées.
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