Concédé au groupe de Dubaï DP World qui doit engager plus de 1,2 milliards de dollars d’investissements, ce port en eau profonde doit, enfin, faire entrer la RD Congo dans la connectivité maritime de classe mondiale. La question de sa complémentarité avec le port fluvio-maritime amont de Matadi, où MSC fait son entrée, reste posée.
Le futur port de Banana, situé sur l’étroite façade maritime de la RD Congo, va-t-il commencer à se matérialiser ces prochains mois ? C’est en tout cas le plan annoncé par les autorités kino-congolaises pour ce projet porté par le géant émirati DP World, investisseur et concessionnaire pour 30 ans.
Les travaux devraient débuter en décembre, selon une annonce datant du 24 septembre dernier du Bureau de coordination, de suivi et de contrôle de projet du Port de Banana (BUCCO-PB). Cette structure créée récemment a pour coordonnateur exécutif Kahumbu Mandungu Bula, nommé en Conseil des ministres ce 3 septembre.
En juillet dernier, l’État avait, par ailleurs, indemnisé certains ayant-droits et titulaires du droit coutumier sur le site de Banana localisé sur l’embouchure du Congo, près de la ville de Muanda.
Ce port en eau profonde, entièrement à construire, sera implanté sur cette péninsule, située sur la rive droite du fleuve. Un site où existe aujourd’hui une modeste activité portuaire vouée à être totalement remplacée. Le projet comprend 600 m de quai d’un tirant d’eau de 18 m pouvant accueillir la plupart des navires actuels. A cela s’ajoute une zone logistique de 30 hectares, taillée pour traiter 460 000 conteneurs TEU par an, sans compter les autres marchandises.
Chiffré à 1,2 milliard de dollars à terme, l’investissement réalisé en plusieurs phases doit booster la connectivité maritime de Kinshasa et de tout le pays. Un enjeu majeur pour le géant de l’Afrique centrale presque entièrement enclavé.
Aujourd’hui, on estime que plus de la moitié du trafic maritime à destination du pays, notamment vers Kinshasa, ville séparée de la mer par les chutes d’Inga pour rappel, passe par le Congo Brazzaville. Ceci à travers le port de Pointe-Noire, opéré en partie par Bolloré (MSC désormais). Après dégroupage à Pointe-Noire, marchandises et conteneurs sont acheminés en RD Congo, soit par la route ou, surtout, par des navires de faible gabarit vers les ports du Bas-Congo (Boma, Matadi, ports clandestins…). Une petite partie de ce trafic provient également du port de Luanda en Angola.
Initié en 2018 sous la présidence Kabila, puis repris sous celle de Félix Tshisekedi, le projet de Banana a connu de multiples rebondissements économiques et politiques et fait l’objet de rudes négociations entre l’État et le géant du portuaire DP World, aux exigences jugées trop fortes par l’actuel chef de l’Etat.
Au terme d’un compromis, l’épure actuelle a été matérialisée le 11 décembre 2021 à Kinshasa par la signature, en présence de Félix Tshisekedi, d’un accord de concession entre Sultan Ahmed bin Sulayem, PDG de DP World et plusieurs ministres, dont Cherubin Okende Senga, chargé des Transport ou Nicolas Kazadi, ministre des Finances. Coté conseil juridique, sur ce projet, à savoir la convention de concession et le pacte d’actionnaires de la société concessionnaire, DP World s’est appuyé sur le cabinet Pamina Avocats (Rémi Sermier, David Epaud) et la RD Congo sur le bureau parisien de HFW (Stanislas Lequette, Joseph Botham) et Thibaut Hollanders du cabinet Liedekerke Africa à Kinshasa.
Lors d’un événement symbolique, Félix Tshisekedi avait, ensuite, posé la première pierre du projet le 31 janvier dernier. Mais dans les faits, les travaux n’ont pas débuté. Ils devraient donc être engagés en fin d’année pour au moins trois ans.
Matadi, complémentaire ou concurrent?
A noter qu’à 130 km en amont sur la rive gauche du fleuve, un autre projet -complémentaire ou concurrent selon les avis- est engagé. Il s’agit de la modernisation du port fluvio-maritime de Matadi (2,5 millions de tonnes). Grâce au transfert de charge depuis les ports maritimes du Congo Brazzaville ou d’Angola, Matadi fait office de porte d’entrée vers la RD Congo. Son principal atout ? Matadi bénéficie d’une meilleure connectivité que Banana vers Kinshasa grâce à la RN1 (330km) et une ligne de chemin de fer de 366 km, à faible écartement toutefois.
Toutefois, tant le port, que les infrastructures et cette liaison ferrée nécessitent de lourds investissements de modernisation et en particulier les actifs gérés par la Société commerciale des transports et des ports (SCTP, ex-Office national des transports).
En ce sens, ce premier semestre, la RD Congo a conclu un accord avec le Qatar, allié sur ce dossier au groupe logistique MSC, concessionnaire du projet, pour relancer la SCTP. Signé le 25 avril 2022 à Kinshasa en présence de Félix Tshisekedi, ce « deal » qui implique le fonds qatari Maha Capital fait suite à un vaste accord-cadre d’investissement conclu entre l’Émirat du Qatar et le chef de l’Etat congolais à Doha fin mars 2021.
Les détails ne sont pas connus mais cette concession de gré à gré prévoit, selon les déclarations de Chérubin Okende Senga, à la fois l’apurement d’une part des importantes dettes sociales de la SCTP et surtout de nouveaux investissements de la part du concessionnaire.
Enfin, sur ce site, le groupe philippin ICTSI, concessionnaire du terminal à conteneur via Matadi Gateway Terminal (MGT) dont il détient 52% (au côté du groupe privé congolais Leyda à hauteur de 38% et de la SCTP pour 10%) a annoncé en décembre 2019 un investissement de 100 millions de dollars. Ceci pour porter, à terme, la capacité du port fluvio-maritime à 400 000 conteneurs TEU contre environ 120 000 aujourd’hui. Ceci en allongeant les quais (500 m contre 350 actuellement) et draguant les abords du port jusqu’à 12,5 m pour accueillir de plus gros navires.
A très court terme, la RD Congo, via la SCTP, vient de bénéficier le 13 juillet dernier d’un don de 18 millions de dollars de la coopération japonaise (JICA) pour introduire un système numérique d’exploitation du terminal (Terminal Operating System ou TOS) et réhabiliter l’espace de stockage des conteneurs.
Bref, ça s’active à l’extrême ouest du pays, même s’il faudra maintenant mener tous ces projets à bien.