Dans un contexte toujours plus complexe : demande croissante en produits agricoles, instabilité géopolitique, changement climatique… les agriculteurs d’Afrique de l’Ouest sont confrontés à une perte de fertilité chronique de leurs sols agricoles. Cette baisse naturelle de fertilité se traduit par une plus grande fragilité face aux aléas climatiques et aux maladies et, par conséquent, des rendements plus aléatoires pour les producteurs. Les agriculteurs tentent d’y pallier, avec plus ou moins de succès, par des apports toujours plus importants d’engrais dont les prix et la disponibilité fluctuent fortement, sans enrayer pour autant la baisse tendancielle des récoltes.
Comment gérer alors durablement la fertilité des sols forestiers? Parmi les alternatives évoquées, figure l’agroforesterie, qui permet d’associer des arbres et des cultures agricoles sur une même parcelle. Cette pratique ancestrale connaît un regain d’intérêt car elle offre une meilleure utilisation des ressources, une plus grande diversité biologique et la création d’un micro-climat favorable à l’augmentation des rendements. La présence d’arbres ou de haies dans les champs génère en effet de l’ombre réduisant ainsi le besoin d’irrigation. Elle favorise aussi l’infiltration des eaux de pluie et permet également des collaborations entre espèces végétales, via l’apport de matière organique ou le stockage de CO2.
Les bienfaits de l’agroforesterie sont souvent cités lorsqu’on évoque une alternative durable pour la culture du cacao.
En Côte d’Ivoire par exemple, ou la superficie des forêts a régressé de 80% depuis 1955, la dégradation des sols est principalement liée à l’orpaillage clandestin, au commerce du bois de chauffe et à l’agriculture, en particulier, la culture du cacao qui a empiété sur des hectares de forêts. Lors d’un séminaire international, la coopérative de Camayé en Côte d’Ivoire a partagé son expérience de la culture de cacao en agroforesterie. Accompagnée par l’ONG française AVSF, elle a mesuré rapidement les bénéfices d’un système basé sur la présence de grands arbres associés aux cacaoyers. « Avec l’agroforesterie, vous avez tout l’écosystème qui démontre que le cacao est ami de la forêt ».
Au Cameroun, selon les études conduites par le CIRAD, pour la culture de cacao une densité de 136 arbres de services par hectare de cacaoyère serait le meilleur compromis entre rendement en cacao et effets positifs sur l’environnement. Lucie Temgoua, professeure à l’Université de Dschang au Cameroun part du constat que la monoculture fragilise et appauvrit le sol. « Avec le principe de l’agroforesterie, globalement les cultures résistent ainsi mieux à la sécheresse et la lutte biologique est favorisée. Ils peuvent également apporter des avantages supplémentaires à l’agriculteur à travers un usage des autres arbres pour des productions alimentaires, médicinales, ou comme source de bois de chauffage. » Anicet Ebou, enseignant chercheur à l’INP-HP, l’Institut national polytechnique Félix-Houphouët-Boigny explique de son côté : « L’agroforesterie présente une alternative durable pour les paysans. On a des cultures pérennes et il y a aussi des arbres fruitiers qui peuvent permettre des ressources additionnelles : des manguiers, des bananiers. Il y a des études qui sont en train d’être faites pour identifier les meilleures cultures qui favoriseraient la productivité du cacao ». Aujourd’hui, les agriculteurs sont incités à faire pousser les cacaoyers au milieu des arbres. Ainsi, l’écosystème se protège du soleil. De plus, les feuilles et les fruits servent d’engrais naturel.
L’agroforesterie ne s’applique pas uniquement au cacao. L’AFD et la Forest National Corporation (FNC) du Soudan travaillent par exemple ensemble sur un projet visant à augmenter les revenus directs des agriculteurs de gomme arabique, dans le Nord Kordofan, notamment via le développement de l’agroforesterie. « En écoutant les études, les traditions et l’expérience de nos ancêtres, nous sommes incités à planter des arbres, car la pluie tombe sur les zones arborées plus que sur les terres arides, et cela améliore la rétention d’eau », souligne Elhadi Abdelgafer Mekki, président de l’Association des producteurs de gomme arabique du Soudan.
Publié à l’occasion du Salon international de l’agriculture de Paris 2024 le fascicule Gestion de la fertilité des sols en Afrique subsaharienne présente l’évolution des recherches à partir d’un choix d’articles publiés de 1998 à 2024 par la revue Cahiers Agriculture. Il est confirmé que la faible productivité de l’agriculture en Afrique subsaharienne est due en grande partie à la dégradation de la fertilité des sols. Les pratiques endogènes des producteurs telles que les associations céréales-légumineuses, les jachères pâturées, les parcs arborés… ne permettent plus d’entretenir la fertilité sur des surfaces cultivées qui s’agrandissent, surtout lorsque les sols sont carencés. Durant quatre décennies, les décideurs et acteurs du secteur agricole ont privilégié la vulgarisation des engrais de synthèse mais après avoir longuement promu l’utilisation de fumure organique, la recherche invite désormais à diversifier les sources de biomasse fertilisante via l’agroforesterie, les associations avec les légumineuses, ou l’agriculture de conservation et pour cela il est nécessaire de modifier les postures des décideurs vis-à-vis des ruraux et de réviser les politiques publiques.
Aujourd’hui aucun pays du continent ne peut se permettre de remplacer ses plantations par de la forêt. L’agroforesterie serait donc un bon compromis, à l’heure ou l’Union européenne a voté l’interdiction d’importer des produits issus de la déforestation.