Dans sa vaste enquête annuelle sur le climat des affaires, la Chambre de Commerce européenne en Chine pointe une désillusion certaine des opérateurs européens, confrontés à une stratégie « Zéro covid » extrême et au nationalisme économique croissant des autorités.
« Une fatigue des promesses »… Tel est un des constats clés du dernier « Position Paper 2022/2023», le rapport sur l’environnement politico-économique des affaires en Chine établi tous les ans par la Chambre européenne de commerce en Chine.
Publié ce 21 septembre, ce rapport de 430 pages disponible en ligne
ici appelle les autorités de Pékin à revenir à un agenda de réformes économiques, à faire preuve de neutralité vis à vis des entreprises étrangères, et d’assouplir leur politique extrême « Zéro covid ».
Ce travail a été établi après une enquête de six mois auprès d’un échantillon des membres de la Chambre. Présidée par Jörg Wuttke (photo), par ailleurs, représentant de BASF en Chine, celle-ci regroupe 1 800 entreprises européennes, pour la plupart des grands groupes, dont Volkswagen, Air liquide, Michelin, Astra Zeneca, Philips, Bekaert ou Enel, mais aussi des PME ou des consultants et avocats.
Sur un ton inhabituellement pessimiste, ce « Position Paper », un document de référence très attendu et soigneusement lu par les autorités de Pékin, fait état d’un changement du paradigme sur l’appréhension de la Chine par les directions générales depuis l’an dernier. Et pas dans le bon sens.
« Là où les discussions [stratégiques NDR] étaient centrées sur les opportunités d’investissement, elles le sont désormais sur le développement de la résilience de chaînes de valeur, les difficultés de faire des affaires, le risque de réputation et le respect d’une compliance de niveau mondial », pointe la Chambre.
Le rapport estime au passage que la moitié des cadres européens ont quitté la Chine depuis 2020, du fait de la politique « Zéro covid » extrême, mais aussi de l’environnement des affaires dans la deuxième économie du monde.
Un des points les plus marquants du document est le constat d’un « découplage » au sein des entreprises européennes. Celles-ci sont amenées à créer et gérer simultanément deux systèmes de plus en plus hermétiques au sein de leurs organisations : l’un centré uniquement sur la Chine et l’autre sur leurs relations avec l’international. Ce fait concerne les réseaux de fournisseurs ou les systèmes d’information. L’explication tient aux contraintes liées à la politique « Zéro covid » mais aussi d’une tendance accrue au nationalisme économique de Pékin décidé par le président Xi Jinping (stratégies « Made in China » ou « Dual Circulation ») et largement relayé par les autorités au niveau des provinces ou des villes.
Les tensions commerciales ou politiques entre les Etats-Unis ou Taiwan ajoutent à la complexité. Selon le document de la Chambre, « de nombreuses entreprises ont commencé ou explorent la possibilité de créer des supply chain séparées, l’une pour la Chine, l’autre pour le monde. En fait, certains clients en Chine demandent déjà des produits « US-free » et d’autres aux Etats-Unis des produits « China-free » en réponse à la demande des Etats ou du secteur privé ». Une organisation en « silo » inédite depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC le 11 décembre 2001.
La plupart des entreprises européennes présentes en Chine n’envisagent pas de quitter le pays, indique toutefois la Chambre qui rappelle, la taille, l’intérêt et la diversité de ce marché pour elles. De même que le fort rebond, +32%, des investissements directs étrangers (IDE) nets vers la Chine en 2021, à 331 milliards de dollars, soit un niveau pré-pandémie
Mais parmi ses constats, la Chambre estime que l’essentiel, plus de 70% des IDE européens en Chine sont désormais concentrés autour de quelques grandes entreprises, le grand mouvement des entreprises moyennes vers la Chine d’il y a deux ou trois décennies appartenant désormais au passé.
42,6% des sociétés françaises présentes en Chine n’y ont plus aucun projet de développement
De fait, les acteurs économiques, présents en Chine, sont, pointe le rapport, de plus en plus nombreux à mettre en place une stratégie de diversification de leur sourcing, souvent appelée « China+1 » et déployée dans des pays comme le Vietnam ou l’Indonésie. Mais ce n’est plus suffisant, estime le rapport. Et beaucoup développent désormais une stratégie dite « China+1+2+3 »…
A la veille du vingtième congrès national du Parti communiste qui débutera le 16 octobre prochain, la Chambre publie 967 recommandations aux autorités chinoises. Elle engage Pékin à changer de pied sur les réformes, à assurer un traitement équitable dans l’application de la réglementation entre entreprises étrangères et chinoises ou encore à réduire le soutien aux entreprises d’Etat qui fausse la concurrence. La Chambre engage aussi fermement l’Union européenne à garder une attitude ouverte vis à vis de la Chine et poursuivre les coopérations engagées, par exemple en matière de climat.
Pour rappel, dans un autre document de la Chambre européenne, à savoir une enquête de confiance publiée en juin avec Roland Berger, les entreprises européennes faisant état à 60% de difficultés croissantes pour conduire leurs affaires. La moitié des responsables interrogés jugeant, par ailleurs, l’environnement plus politisé depuis 2021.
Dans le même sens, une enquête réalisée en septembre par CCI France Chine indique que 42,6% des 303 sociétés françaises interrogées n’ont plus aucun projet de développement en Chine. Cette proportion n’était que de 26,8% au printemps dernier!
A noter que les autorités chinoises ont indirectement réagi le jour même de sa publication au « Position Paper » de la Chambre de commerce européenne. Dans un article sur ce rapport, le quotidien « Global Times », relais du pouvoir pour les affaires internationales, a jugé « fausses» les conclusions du document, et estime que son ton alarmiste était lié aux propres « malaises » des entreprises européennes dans un contexte de ralentissement économique des 27 et de sanctions vis à vis de la Russie. Ambiance…