Telle est une des principales conclusions d’un rapport, dense, publié le 20 mars dernier par la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, en partenariat avec le consultant China Macro Group (CMG).
Intitulé « Riskful Thinking : Navigating the Politics of Economic Security », ce rapport résulte notamment d’une étude conduite ces derniers mois auprès des entreprises membres de la Chambre. Celle-ci rassemble pour mémoire plusieurs centaines de grands groupes, ETI et PME européens implantés en Chine comme Airbus, BASF, Air Liquide, ENI, Umicore, Thales, Bayer ou CMA-CGM. Selon cette étude, l’attractivité de la Chine comme destination d’investissement s’est fortement détériorée : la proportion de membres de la Chambre qui considèrent ce pays comme l’une des trois principales destinations d’investissement, a chuté à un des niveaux les plus bas jamais enregistrés et plus de 10% des responsables d’entreprises déclarent même avoir transféré leurs investissements hors de Chine en 2022. « Le volume, la complexité et la gravité des risques auxquels les entreprises sont confrontées ont augmenté de façon exponentielle ces dernières années, à mesure que la politique s’est infiltrée dans l’environnement des affaires » indique le document.« Même s’il est naturel que tous les acteurs [étatiques] mondiaux cherchent à assurer la sécurité de leurs économies respectives, cela doit se faire d’une manière qui perturbe le moins possible, les entreprises », plaide Jens Eskelund, président de la Chambre européenne et par ailleurs patron pour la Chine de A.P. Moller Maersk. Ce qui n’est visiblement pas le cas !Pour mettre cette situation en perspective, le rapport retrace de façon détaillée, l’évolution depuis dix ans de l’approche des risques économiques mutuels par les Etats-Unis, l’Europe et la Chine. La période, on le sait, a été marquée notamment par la volonté de « découplage » de l’ancienne administration Trump. Cette approche tonitruante a été, dans le vocabulaire en partie atténuée sous la présidence Joe Biden, qui a toutefois érigé en priorité la réduction des risques, notamment économiques, vis-à -vis de Pékin. Coté chinois, sous la présidence nationaliste de Xi Jinping, le 14ᵉ plan quinquennal (2021 – 2025) a marqué une forte volonté d’autonomie technologique et plusieurs lois récentes sur la sécurité nationale ont aussi de fortes implications sur la conduite des affaires des entreprises.
De son côté, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, dans un discours de référence sur les relations UE – Chine prononcé le 30 mars 2023, avait, quant à elle, affirmé que la « réduction des risques » économiques était une des priorités de l’Union européenne concernant l’évolution de sa relation avec la Chine. Selon ses déclarations, même s’il n’est « ni viable, ni dans l’intérêt de l’Europe » de se découpler de la Chine, il est nécessaire de « rééquilibrer » la relation. Alors que Xi Jinping doit faire en Hongrie son premier passage depuis cinq ans en Europe en mai prochain et au milieu de cet environnement très agité, « les entreprises étrangères en Chine sont plus susceptibles d’être exposées à des [aléas] réglementaires causés par des facteurs géopolitiques et les tensions entre la Chine et les États-Unis« , pointe le rapport. Ceci, à l’image, par exemple, de l’interdiction américaine d’exportations de machines de dernières générations dans le domaine de la microélectronique, qui s’est appliquée aussi à des entreprises européennes comme le Néerlandais ASML.
Du côté chinois, poursuit le rapport, « la constitution d’une boîte à outils juridique complète pour riposter contre ce que [la Chine] considère comme [des] ingérences étrangères et (…) extraterritoriales permet au gouvernement de sanctionner des actes spécifiques de sociétés ou des résidents étrangers et, ce faisant, perturbe leurs opérations en Chine, par exemple en restreignant leurs investissements ou l’accès au marché« . De plus, l’ambiguïté dans ces réglementations « diminue considérablement la confiance des entreprises ». À ce titre, le rapport cite l’exemple récent de la loi chinoise anti-espionnage actualisée et de la nouvelle loi sur les relations étrangères qui fait référence au concept large de « sécurité nationale », sans fournir de lignes directrices sur ce qui constitue un secret national. Ce qui soulève pour les entreprises le risque d’une mise en œuvre incohérente ou de problèmes de conformité.
Face à cet environnement commercial politisé et affrontant des régimes juridiques contradictoires, les entreprises européennes en Chine ont donc un « sentiment général d’insécurité » et sont contraintes d’allouer des ressources croissantes pour prévenir ces risques, au détriment de leurs opérations commerciales, selon la Chambre. A ce titre, selon son enquête, les trois quarts des entreprises interrogées déclarent avoir réévalué leurs chaînes d’approvisionnement en Chine ces deux dernières années. La plupart ont commencé à cloisonner en « silos » leurs opérations, à commencer par les activités support comme les services informatiques. Plus marquant : 12% des entreprises ont délocalisé récemment des activités hors de Chine et 10% ont même indiqué qu’elles avaient déplacé ou étaient en train de déplacer, leur siège « Asie » hors de Chine. La conséquence la plus visible de ces tensions est aussi l’effondrement des investissements étrangers en Chine. Ceux-ci ont péniblement atteint 33 milliards de dollars en 2023, un plongeon de 90 % par rapport au pic de 2021 et un plus bas historique depuis trente ans !