Le Président des conseillers du Commerce extérieur de la France (CCE), Alain Bentajac, analyse les grands enjeux du commerce mondial pour 2020. Et souhaite voir les CCE mieux utilisés dans les dispositifs de soutien à l’export.
Comment abordez-vous l’année en terme de climat international des affaires?
Comme celle qui vient de s’achever, à savoir une période de grandes mutations et de montée de tensions. Nous évoluons dans un univers plus incertain, dans lequel la notion de risque politique, au sens large, a fait son grand retour, y compris pour les entreprises.
Cela se manifeste par exemple par des changements de règles du commerce mondial plus fréquentes et imprévisibles, à l’image de la guerre commerciale Etats-Unis – Chine. Si chacun espère qu’il n’y aura pas de nouveaux foyers d’incendies, je ne vois pas de raison pour que cette situation change : 2020 est une année électorale aux Etats-Unis et la Chine est lancée durablement dans une stratégie de puissance. Plus près de nous, le Brexit va se faire, mais il reste encore bien des incertitudes.
Et au plan conjoncturels ?
S’il reste des zones très dynamiques, nos entreprises ressentent bien, qu’en moyenne, la croissance mondiale est moins vigoureuse et que le commerce international progresse moins vite que l’activité, ce qui n’est jamais bon signe.
Est-ce la fin de la mondialisation ?
Non car ce phénomène est trop structurant pour être balayé. Va-t-on vers une régionalisation plus poussée ou un resserrement géographique des chaînes de valeur, voire des relocalisations importantes? Certains le pensent. A mon sens, nous n’en sommes pas là, au vu du poids pris par la Chine ou d’autres émergents dans nos systèmes productifs. Toutefois, on observe que le commerce interrégional en Asie ou en Europe est plus dynamique que la moyenne globale, donc il y a une forme de resserrement géographique.
Vous avez organisé à Marseille en décembre un forum sur les Nouvelles routes de la soie avec des représentants chinois, qu’en ressort-il ?
L’idée était de mieux comprendre, de dialoguer et, in fine, de voir comment nos entreprises pourraient s’insérer dans ce plan gigantesque… sans être trop crédule. Je dois dire que tout cela reste encore difficile à cerner pour nous.
L’enjeu est, par ce type de forum, de faire en sorte que le pouvoir chinois accepte, pour ce plan ou d’autres, de jouer avec les normes internationales. Je pense aux règles techniques, juridiques, d’appel d’offres, etc… Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Je suis convaincu que le bon échelon pour faire valoir nos intérêts, c’est celui de l’Europe, comme d’ailleurs pour la nécessaire fiscalité juste des GAFA. Cela passe par un message politique fort au niveau de l’Union, première puissance commerciale mondiale. Ce n’est pas gagné, même si le nouveau Commissaire au commerce Phil Hogan a des vues bien arrêtées sur ces sujets, ce qui est encourageant.
La nouvelle Commission a placé le changement climatique en tête de ses priorités avec le « Green deal », qu’en attendre?
Pour les entreprises françaises qui affichent de fortes compétences en la matière, elles ne sont pas les seules toutefois, il peut s’agir d’une opportunité, pour se projeter à l’international notamment. Au delà, l’environnement va devenir un thème central dans les relations commerciales de l’Europe avec le reste du monde, on voit bien les débats sur les accords de libre échange avec le Mercosur ou le Canada.
Mais il ne faut pas être naïf, cette priorité n’est pas forcement partagée sur la planète. Sous l’impulsion de Donald Trump, les Etats-Unis viennent de relancer leur Exim Bank avec des dizaines de milliards de dollars de crédits et, sans doute, pas les mêmes priorités que l’Europe sur le changement climatique.
Autre sujet de souveraineté, les relations de la France et de l’Europe avec la Russie. Peut-on attendre une évolution cette année, selon vous ?
Je l’espère. Nos entreprises sont inquiètes. Certains de nos conseillers sont même assez virulents sur la situation créée par le régime des sanctions ! Nous attendons avec impatience la manière dont va se traduire la nouvelle orientation politique avec la Russie, développée par le Président Emmanuel Macron, lors de la conférence des ambassadeurs fin août 2019. Nous sommes favorables à une relance des échanges. C’est, à nouveau, un sujet pour les 27 et de ce côté, pour l’instant, on ne voit guère d’évolution.
Enfin, quels sont les chantiers des CCE pour l’année ?
Nous avons deux priorités. La première est de contribuer à ces réflexions sur le changement profond de la marche des affaires dans le monde. Nous voulons le faire à travers un think-tank mais avec une approche très appliquée, avec une vision de praticiens du commerce et d’entrepreneurs. La seconde priorité est de mieux insérer les CCE dans le cadre actuel de la réforme des dispositifs de soutien à l’export. Nous avons été très favorables à la création l’an dernier de la « Team France Export ». Nous voudrions que cela se traduise d’avantage sur le terrain et de façon homogène dans tous les pays, ce qui n’est pas le cas. Les CCE constituent une force qui peut être mieux utilisée.
Propos recueillis par Pierre-Olivier ROUAUD