Afruibana, association de producteurs africains de fruits du Ghana, de Côte d’Ivoire et du Cameroun appelle à la responsabilisation de l’Union Européenne pour un commerce international plus équilibré. Face aux géants latino-américains, soutenir la pérennité de la production locale est indispensable pour ne pas mener la filière à sa perte. Jean-François Billot, secrétaire général d’Afruibana, revient sur les enjeux de l’écosystème et le rôle des mécanismes mis en place par l’Union Européenne dans la filière.
Chaque année, 600 000 tonnes de bananes sont exportées de l’Afrique vers l’Union Européenne. Une goutte d’eau, face aux cinq millions de tonnes exportées sur le marché européen chaque année par l’Amérique Latine. Les producteurs africains tentent pourtant, tant bien que mal, de résister à cette concurrence redoutable imposée par les producteurs du continent sud-américain. Jean-François Billot, secrétaire général d’Afruibana, est sans appel : plus de justice et de durabilité sont indispensables pour se distinguer et assurer la viabilité de la filière banane.
« Cet été, le prix moyen du carton de banane est passé en dessous de son plus bas niveau historique de 10€. Cela est préoccupant car ils ne permettent pas d’amortir les frais d’exploitation, ni les investissements consentis, ni les structures de coûts que nos modèles responsables induisent ».
Une situation absurde pour le porte-voix d’Afruibana qui s’étonne d’un prix de la banane inférieur à celui de la pomme alors que cette dernière n’a pas, elle, à voyager entre deux continents.
Plusieurs arguments permettent de comprendre cette dépréciation du cours de la banane, subie de plein fouet par les producteurs africains.
Une concurrence latino-américaine déloyale
La concurrence des géants latino-américains est une partie de la réponse. En effet, l’Equateur, la Colombie et le Costa Rica sont les plus trois grands exportateurs mondiaux. Si on additionne leurs volumes à ce qui est fait par les six autres pays du continent, ce sont plus de 16 millions de tonnes qui sont exportées chaque année. C’est plus de 25 fois plus que la production africaine.
« On est face à une concurrence latino-américaine asymétrique avec neuf pays qui prennent plus de 75% de parts de marché en Europe. C’est face à ces géants que nous tâchons de rendre nos productions plus durables et plus justes. » commente Jean-François Billot.
Le ministère allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ) s’est penché sur cette question des prix en Europe, au travers de son Alliance d’Action pour les Bananes Durables (ABNB). Celle-ci évoque un « dumping des prix » ne permettant ni de garantir un salaire décent aux producteurs ni d’engager la transition environnementale. L’ABNB a par ailleurs publié une étude qui indique que les prix actuels de la banane colombienne pourraient être doublés si on voulait être sûrs que soient couverts les coûts de production actuels ainsi que les coûts de production réellement durables, résume Jean-François Billot.
Déjà en 2019, les producteurs Européens de bananes dénonçaient cette concurrence, jugée déloyale des producteurs latino-américains. « En 2019, le prix du colis de bananes a baissé de 15% en passant de 14,1€ à 11,9€, soit en deçà du seuil de rentabilité des producteurs européens » affirmaient les organisations de producteurs de bananes de Martinique, de Guadeloupe, de Madère et des Canaries.
« On espère que ces anomalies vont se corriger parce que cela structure de grands enjeux Nord-Sud et de transition dans l’agriculture notamment » conclut Jean-François Billot.
Les mécanismes de régulation de l’UE faillibles
Si cette concurrence sud-américaine a progressivement percé le marché européen pour prendre le dessus sur les bananes africaine et européenne, c’est notamment en raison de failles dans les outils de régulation de l’UE. En effet, l’Union Européenne avait mis en place des instruments de défense commerciale afin de lutter contre les sur-approvisionnements. Or, « on s’est aperçu qu’ils n’ont pas été utilisés dans la dernière décennie donc le sur-approvisionnement a cru d’année en année » regrette Jean-François Billot. Une surproduction qui conduit mécaniquement à une baisse des prix.
En 2019, lors de l’Appel d’Abidjan, l’association africaine de producteurs de fruits avait interpellé la Commission, le Parlement et les Etats Membres sur la situation et « appelé à plus de responsabilité, à veiller à ce que les instruments de défense commerciale ne restent pas lettre morte. Que le mécanisme de stabilisation soit activé et respecté » défend le secrétaire général de l’association.
Pour une production plus juste et plus durable bénéficiant à l’ensemble de l’écosystème
Afruibana milite donc pour une filière plus durable et plus juste. Cela passe à la fois par un mode de production plus respectueux de l’environnement mais également par une meilleure prise en compte du tissu économique local.
« Nous promouvons les techniques agroécologiques. De plus, partout où nous installons une exploitation, un hôpital, des écoles, des coopératives de femmes sont encouragées. Cela fait partie de l’utilité sociale de ces grandes bananeraies,» témoigne Jean-François Billot.
Cette activité plus durable s’inscrit dans une tendance de fond d’une demande de plus en plus forte de produits biologiques et respectueux de l’environnement. Et l’Afrique possède un terreau favorable à ce mode de culture.
Un espoir existe
De la même façon, géographiquement plus proche de l’Europe que le continent américain, les produits africains « sont la garantie d’une réactivité dans les approvisionnements et d’une empreinte carbone réduite comparée à d’autres origines. » indique l’association.
Ainsi, Afruibana, s’attache à porter les intérêts des producteurs africains de banane, ananas et mangue auprès des institutions européennes. Si Jean-François Billot insiste davantage sur le marché de la banane, c’est justement parce qu’un espoir existe. Locomotive pour toutes les autres filières fruitières, il s’agit d’éviter de voir se reproduire dans la banane les erreurs qui ont été commises dans l’ananas :
« Il y a plus de 10 ans, l’ananas de la Côte d’Ivoire était présent sur les étagères d’Europe de l’Ouest. Avec l’arrivée de l’ananas Costa-Ricain sur le même segment, la production ouest africaine a été décimée. Elle a été réduite à quasiment 1/10 de ce qu’elle avait été. On ne doit pas voir se reproduire cela sur la banane. »
Afruibana s’inspire donc des problématiques vécues sur l’ananas pour l’appliquer à la banane. Pour Jean-François Billot, c’est toute une partie de la population qui dépend de la filière de la banane pour vivre. Sur les trois pays, elle représente 30 000 emplois directs et 50 000 indirects. Elle constitue ainsi une sphère de prospérité et ne pas instaurer des conditions de concurrence justes mènerait les exploitations à leur perte, conclut Jean-François Billot.