L’AUTF est l’association des utilisateurs du transport et de la logistique. Elle rassemble plus de 4000 membres et a une représentativité européenne. Son Président Denis Choumert s’inquiète du manque de visibilité des entreprises sur le marché du transport maritime, car les tarifs se sont envolés : de 5 à 10 fois les tarifs de 2019.
« Pour obtenir des taux de fret acceptables, il faut aujourd’hui s’engager sur des contrats de 2 ans avec une promesse de trafic minimal à respecter. Malgré cela, les taux de fret à long terme obtenus sont 2 à 3 fois plus élevés qu’en 2019 » explique Denis Choumert. Mais c’est déjà mieux que les taux de fret « spot », sans engagement, sur lesquels on constate des multiples de 8 à 10 par rapport à 2019.
La principale difficulté selon l’AUTF, c’est aussi de savoir si son conteneur va bien être embarqué, et donc si le « booking » sera respecté par la compagnie. « À ce jeu-là, comme d’habitude, les très gros tirent leur épingle du jeu, les autres ne peuvent que subir ».
Le Président de l’AUTF se montre inquiet. « Les entreprises vivent dans une tension énorme, que ce soit à l’export comme à l’import. Même s’ils payent le prix fort, ils ne sont pas certains de pouvoir honorer leurs commandes et satisfaire leurs clients. »
On considère que 20% du trafic mondial est aujourd’hui en attente dans les ports. C’est un chiffre énorme et cela ne pourra se résorber que sur le long terme.
« Le système est tellement tendu que tout évènement supplémentaire comme l’Ukraine, ne va que prolonger, voir aggraver la situation ».
Denis Choumert estime que l’Ukraine va rajouter 10 000 conteneurs par mois en maritime, dans un système qui est déjà à saturation, faute de pouvoir les transporter par le fer,
« Nous n’avons pas beaucoup de solutions pour changer les choses » reprend Denis Choumert. L’AUTF a étudié la possibilité de déposer une plainte contre les compagnies pour entente et concurrence déloyale auprès de l’Union Européenne, mais elle a vite abandonnée. « Cela ne va pas résoudre notre problème à court terme et c’est très difficile à prouver ».
« La cause principale est que les bateaux de grande capacité, 20 000 à 25 000 EVP (conteneurs équivalent 20 pieds) ont été mis en service sur le commerce Asie-Europe dans les années 2016 – 2019. Les compagnies maritimes, regroupées sous forme d’alliances, ont positionné leurs anciens bateaux de 10 000 à 15000 EVP sur le marché américain.
« Ces gros bateaux demandent aux ports des performances qui sont très compliquées à tenir en temps de Covid. Quand ils arrivent, ils doivent décharger au port 10 000 boites en 48h, soit le double de ce qui était demandé avant ». Problème d’infrastructures qui n’ont peut-être pas suivies, mais aussi problème chez les transporteurs qui doivent évacuer un nombre très important de conteneurs dans un temps très court… cela est devenu presque impossible. On a donc créé un bouchon de capacité de traitement du flux.
« De très gros bateaux ne peuvent débarquer que dans de très gros ports qui sont ultra saturés alors que de plus petits ports sont assez disponibles … mais n’ont pas de bateaux ».
C’est le chien qui se mord la queue, et une course au gigantisme qui a été mal appréciée.
La politique chinoise zéro Covid a aussi créée une difficulté supplémentaire.
L’impact économique est énorme : plus de 40 Milliards de dollars
« Il est assez simple à calculer. Pour la France on estime à 8 millions de conteneurs le trafic annuel. Plus de 50% à des prix forts. On a une hausse moyenne de 5000 $ du conteneur en faisant une balance entre les gros et petits chargeurs (de 1500 à 10000 $ de suppléments). Si on multiplie ce prix par 8 millions, on arrive à une conséquence économique de 40 milliards de dollars pour les entreprises françaises.
Aucune visibilité pour l’avenir selon Denis Choumert, ni même aucune amélioration à prévoir dans les prochains mois, voir les prochaines années. « On a une multiplication des risques qui incitent les compagnies à la prudence. Au risque sanitaire s’ajoute le risque climat qui peut avoir de graves conséquences ; par exemple en Allemagne, les inondations graves ont bloqué le trafic pendant plusieurs semaines ». Si on ajoute le risque politique, il semblerait qu’on ne va pas retourner à la situation de 2019 avant bien longtemps.
L’AUTF travaille à la fois sur un projet de régulation par la création d’une commission permanente du commerce maritime « Fair Trade » qui permettrait de réguler le marché, mais aussi sur la protection des petits-moyens clients du transport maritime. « Les compagnies ont foulé au pied les contrats et les délais sans que leurs petits clients ne puissent faire quoique ce soit ».