En l’espace d’un siècle et demi, plus de la moitié des terres les plus productives de notre planète a disparu sous la pression des activités humaines. La couche arable, principale composante de notre système agricole nourricier qui nous fournit la presque totalité (95%) de nos besoins alimentaires est de plus en plus abîmée. La pratique consistant à modifier les sols avec du charbon de bois dans le cadre de la gestion de la fertilité remonte à des millénaires. Les Amérindiens de l’époque précolombienne auraient, selon certaines études, sciemment, ou non, utilisé l’enrichissement du sol en charbons de bois, améliorant ainsi la stabilité et la fertilité de certains sols cultivés (Terra Prieta) ainsi que leurs propriétés physiques, biologiques et chimiques.
Le biochar ou charbon biologique qu’on essaye aujourd’hui d’introduire dans la correction des sols est un charbon d’origine végétale obtenu par pyrolyse de matières organiques diverses, généralement des déchets de scierie ou des résidus agricoles et même les déchets végétaux urbains. Se présentant sous forme de petits fragments noirs, le biochar sert à amender les sols et est présenté comme un excellent capteur de carbone.
Augmentation de la croissance des plantes, aide au développement de la microflore, mais aussi propriétés d’absorption des éléments et de rétention de l’eau… Les biochars pourraient avoir des effets sur la fertilité des sols. Cela tombe bien, la FAO estime justement que la moitié des champs mondiaux sont aujourd’hui dégradés, c’est-à-dire que leurs rendements diminuent, entraînant une baisse globale de l’ordre de 10 %.
S’il permet d’améliorer la fertilité et la stabilité des sols cultivés d’une part, le biochar permet d’autre part de stocker du carbone dans les sols à moyen et long terme en plus de celui de l’atmosphère initialement capté par les plantes. L’engouement récent de certains pour le biochar vient de ce qu’il est présenté comme une possibilité de fixer de façon quasi-permanente du carbone atmosphérique, grâce à un processus à bilan carbone négatif. Des grandes entreprises, qui y voient l’émergence d’une nouvelle activité économique, misent d’ores et déjà sur la production massive de biochar.
En Afrique, les deux tiers de la superficie du continent sont classés comme déserts ou terres arides, 75 % étant dégradés. Le Dr. Mohamed Bouchentouf qui est l’un des pionniers du développement du biochar en zones sahéliennes et sahariennes a créé la ferme agro-écologique la Clé des Oasis à Timimoun qu’il dirige dans le Sahara Algérien. L’objectif est de construire, à partir du système de production oasien actuel, un système agronomique qui permette d’anticiper les changements climatiques et de surmonter les crises alimentaires. Il est prévu de diffuser ce modèle dans tout le Sahara en produisant le biochar localement à partir de palmes sèches et autres résidus des palmiers datiers. Ses résultats encourageants* donnent déjà des idées à certains pour verdir le Sahel et le Sahara grâce au biochar. L’intégration du biochar dans la réalisation de la Grande Muraille Verte (qui traverse 11 pays d’Afrique – s’étend sur 8 000 km de long et 15 km de large – du Sénégal à Djibouti) permettrait notamment de maximiser la séquestration de carbone tout en assurant une large part d’autofinancement du projet grâce à la vente de crédits-carbone. En effet, la séquestration de carbone à long terme obtenue avec le biochar permet de générer des crédits carbone de haute qualité, dont la valeur de marché est très élevée (actuellement autour de 100 € par tonne de CO2-équivalent).
Mais il faut regarder de près…
Même si peu de choses sont connues sur les mécanismes d’action du biochar dans les sols , en termes d’écobilan écotoxicologique, les avantages semblent l’emporter sur les inconvénients et doivent encore être précisés par la recherche. Parmi les inconvénients, il faut citer les goudrons et le monoxyde de carbone produits lors de la production de charbon de bois, qui sont des polluants et des toxiques ou cancérigènes avérés. Mais cet aspect négatif est à mettre en balance avec le fait que le charbon de bois contribue à détoxifier l’eau et (à la différence du fumiers et des fientes non compostés) il ne pose a priori pas de problèmes d’introduction de germes pathogènes, avantage certains pour les cultures de légumes frais ou plantes à croissance rapide et se mangeant crus (radis, carottes, salades, etc.).
Concernant l’impact sur le climat, tous les systèmes analysés indiquent que les émissions issues de la production de biochar sont minimes par rapport à l’avantage net du système. Concernant la dimension économique, le principal résultat est que tous les projets ont une période d’amortissement très courte – dans l’année qui suit la monétisation des excédents de récolte. Le rendement des récoltes pour lesquelles le biochar est utilisé est déterminant afin d’établir l’équilibre économique, ce qui signifie que le choix des cultures de l’agriculteur peut être aussi important que le type de sol pour lequel le biochar est utilisé. La manœuvre du biochar pourrait laisser les agriculteurs sans aucun autre soutien que l’argent sale provenant de pollueurs.
Rien ne prouve par ailleurs que l’incorporation de biochar permette de reproduire les sols de types Terra Preta. Les mécanismes d’élaboration de ces sols ne sont pas élucidés et paraissent beaucoup plus complexes. Beaucoup d’auteurs doutent de l’intérêt de l’utilisation du biochar dans les terres sèches.
Cependant avant d’encourager son utilisation, un certain nombre de questions restent posées. Les effets bénéfiques du biochar sur les propriétés de certains sols sont-ils extrapolables et persistants dans le temps ? Est-il raisonnable de recourir à une technique pour développer un commerce qui se trouve en conflit avec son environnement naturel fragile et sensible à la dégradation ? Faut-il détruire le peu de forêts qu’on possède pour produire des engrais seulement utiles à des surfaces limitées (comme les pépinières), peu rentables et seulement en régime irrigué ?
En guise de conclusion, le biochar ne semble pas être une solution toute faite au problème de restauration de sols et de stockage de carbone. Son intérêt pour la lutte contre la désertification dans les terres sèches n’est absolument pas prouvé. Il semble actuellement possible et intéressant d’utiliser la pyrolyse pour la production de biocarburant et de biochar pour valoriser les résidus de l’industrie forestière et amender les sols acides des zones humides. Toutefois, des études scientifiques insistent sur le degré d’incertitude élevé concernant la capacité du biochar à fertiliser les sols ainsi qu’à créer un puits de carbone fiable qui permette d’atténuer le changement climatique. Il semble donc que nous n’ayons pas le recul suffisant. La compréhension des mécanismes en jeu est nécessaire et demande beaucoup plus de recherches et davantage d’études interdisciplinaires avant d’inciter à sa généralisation.
Avec environ 570 millions de fermes et plus de 3 milliards de ruraux dans le monde, difficile d’espérer qu’une seule solution conviendrait à tous.
*Rendements comparatifs sur quelques cultures annuelles avec et sans biochar – source: la Clé des Oasis
Pomme de terre/m2 : sans biochar : 6 kg/m2 – avec biochar : 12 kg/m2
Orge variété locale: sans biochar : 0,50 kg/m2 – avec biochar : 1,2 kg/m2 – 2 cycles par an
Blé dur variété locale/m2 : sans biochar : 0,40 kg/m2 – avec biochar : 0,9 kg/m2
Fèves : sans biochar : 4,50 kg/m2 – avec biochar : 9 kg/m2
Navet : sans biochar : 3,50 kg/m2 – avec biochar 10 kg/m2
Céleri branche : sans biochar 25 céleris/m2 – avec biochar : 60 céleris/m2
Courgette : sans biochar : 5,5/plant – avec biochar : 8 kg/plant