Le pays conduit par Narendra Modi vient de passer la barre de 175 GW de capacités installées dans les renouvelables. Il entend creuser son sillon dans l’hydrogène et les batteries pour véhicules électriques.
En bonne voie pour entamer un troisième mandat, le Premier ministre indien Narendra Modi devrait poursuivre, et même accélérer la stratégie du pays vers les énergies vertes. Au-delà de la production d’électricité renouvelable, qui vient d’atteindre en 2023 une capacité installée de 173 GW, (dont 62 GW dans le photovoltaïque), la stratégie de New Delhi s’oriente de plus en plus vers l’aval et plus particulièrement dans deux secteurs-clés : les batteries lithium et l’hydrogène.
Concernant les batteries, l’enjeu est de suivre la progression attendue des ventes de véhicules électriques. Encore modeste, à savoir 2% des ventes totales d’automobiles en 2023 (sur 5,07 millions d’unités au total), ce segment des véhicules électriques dominé par Tata a quasiment doublé l’an dernier et devrait progresser de 66% encore cette année.
Alors que le gouvernement Modi a fixé d’ici à 2030 une cible de 30 % des ventes totales pour les véhicules électriques, New Delhi a lancé plusieurs initiatives pour développer, via des subventions, la production indienne de batteries au lithium et éviter d’être trop dépendant de son rival chinois. L’enveloppe est de l’ordre de 900 millions d’euros de soutiens publics à déployer. Après un premier appel d’offres en 2021, le gouvernement vient de présélectionner le 24 avril sept nouveaux industriels dans le cadre d’un appel d’offres international pour des giga factories d’une capacité cumulée de 10 GWh de batteries (programme dit PLI ACC). Ce dernier programme a reçu une réponse massive de la part de l’industrie. Les offres reçues représentent sept fois la capacité à attribuer. Les candidats présélectionnés sont ACME Cleantech Solutions, Amara Raja Advanced Cell Technologies, Anvi Power Industries, JSW Neo Energy, Reliance Industries, Lucas TVS. et Waaree Energies. Le résultat final devrait être connu dans le courant de l’année. Le nouveau tour fait suite à un appel d’offres lancé en 2021, pour 30 GWH de capacité, emporté en 2022 par Ola Electric Mobility (20 GWh), Reliance New Energy Solar Ltd (5 GWh) et Rajesh Exports (5 GWh).
En attendant la mise en route de ces projets, la première gigafactory du pays devrait bientôt ouvrir dans le territoire du Jammu-et-Cachemire. Porté par l’entreprise GoodEnough, ce projet de 7 GWH est centré, non sur les voitures, mais sur les batteries de stockage pour réseaux électriques. Il a nécessité 15,5 millions d’euros d’investissement initial, un chiffre qui devrait être doublé pour atteindre 20 GWH de capacité en 2027. De son côté, parmi beaucoup d’autres initiatives, le géant Tata a signé en juin 2023 un accord avec l’Etat du Gujarat pour y construire une gigafactory d’une capacité de 40 GWH pour un coût estimé de 1,6 milliard de dollars.
Hormis les batteries, l’Inde est bien décidée aussi à jouer sa partition dans l’hydrogène vert. Plusieurs projets ont ainsi été dévoilés en ce sens ce début juin dans quatre États du pays qui entendent mettre sur pied des « vallées » de l’hydrogène (Hydrogen Valley Innovation Cluster ou HVIC). Le Ministère de la Science et de la Technologie vient d’approuver un premier financement de 500 millions de roupies (5,5 millions d’euros) sur cinq ans pour des initiatives localisées dans le Kerala, le Maharashtra (ville de Pune), l’Odisha (ville de Bhubaneswar) et le Rajasthan (ville de Jodhpur).
Dans le détail, le cluster du Kerala HVIC produira de l’hydrogène à partir de biomasse et ciblera le domaine de la mobilité, en particulier la propulsion des navires et les véhicules routiers. Bhubaneswar HVIC ciblera la production d’acier vert ainsi que la mobilité. Pune-HVIC est, de son côté, orienté vers le bioéthanol pour la production d’hydrogène et prévoit de cibler la chimie fine et également la mobilité. Enfin, le cluster Jodhpur-HVIC entend produire de l’hydrogène à partir de biomasse avec des applications cible comme les moteurs à combustion interne à hydrogène, le gaz de ville ainsi que la production d’ammoniac.
Ces initiatives sont une nouvelle matérialisation de la stratégie des pouvoirs publics lancée l’an dernier. En janvier 2023, le gouvernement indien a ainsi approuvé un plan fédéral dit National Green Hydrogen Mission. Celui-ci comprend plusieurs volets pour encourager la fabrication d’électrolyseurs et d’hydrogène vert dans le cadre d’un plan dit Strategic Interventions for Green Hydrogen Transition (SIGHT) doté de 174,9 milliards de roupies (1,93 milliard d’euros) d’ici à 2029. Ces financements seront à hauteur de 25 % à 30 % chacun, ciblés vers le soutien à des projets pilote dans l’acier, le secteur des véhicules poids lourds et la création de clusters à travers le pays. Une enveloppe plus modeste cible le développement de la propulsion hydrogène dans le domaine du transport maritime et fluvial. Selon une étude récente de la banque d’affaires Morgan Stanley, le secteur de l’hydrogène vert et bleu (issu du gaz naturel) devrait peser 19 milliards de dollars en Inde d’ici 2030, dont environ 7 milliards chacun pour le secteur des engrais et du raffinage ainsi que 2,6 milliards de dollars pour la sidérurgie. L’an dernier, dans le cadre du programme national hydrogène, le ministère des Énergies renouvelables par le biais du SECI (Solar Energy Corporation of India) a lancé des appels d’offres dans deux domaines éligibles à des subventions : la production d’hydrogène d’une part (450 000 tonnes par an) et celle d’électrolyseurs d’autre part (1,5 GW). Une trentaine d’industriels ont répondu à l’appel et 21 ont été sélectionnés pour le premier tour, parmi lesquelles quelques entreprises internationales, dont le Belge John Cockerill pour 300MW par an d’électrolyseurs, mais surtout des poids lourds de l’économie indienne comme Adani, Reliance, Larsen & Toubro ou Bharat Petroleum qui ont tous déjà annoncé des plans massifs d’investissement dans l’hydrogène.
En matière de production, le gouvernement entend atteindre une capacité de 5 millions de tonnes par an d’hydrogène vert d’ici 2030. A terme, l’objectif du pays est de produire ce gaz à un prix de 1 à 1,5 dollar par kilo contre un prix de revient actuel dans le monde de l’ordre de 5 à 10 dollars.