En 2023, le transport maritime continue de faire les montagnes russes. Après des taux jamais vus pendant la crise Covid, les taux de fret conteneurisés sont désormais anormalement bas. La situation devrait néanmoins se normaliser au second semestre de cette année.
Il y a quelques mois, Stéphane Defives, directeur du transport maritime chez « Kuehne + Nagel » (l’un des leaders mondiaux dans le domaine du transport) s’exprimait sur Classe Export au sujet de la situation du transport maritime et décrivait « des files d’attente devant les ports faisant patienter jusqu’à plusieurs semaines les transporteurs, des prix des conteneurs en hausse constante, des usines en manque de matières premières et des délais de livraison interminables ». Aujourd’hui, la situation du transport maritime n’est plus du tout la même.
« Aujourd’hui, il n’y a plus de queue de navire au large des ports, quel que soit l’endroit du globe. Le trafic est à la normale en ce qui concerne la gestion des navires. En France, on peut trouver quelques saturations des ports, mais c’est seulement lié aux mouvements de grève et non pas au contexte économique. La fiabilité en termes de services s’est améliorée. Il y a encore 6 mois les taux de services étaient aux alentours de 10 % à 15 %, aujourd’hui, on est près des 60 % de fiabilité, ce qui montre bien que les ports vont mieux. Généralement, on atteint des taux de près de 85 %. On n’en est pas encore là, mais globalement, on a cette fiabilité qui est revenue. »
Pour l’expert, cette baisse des volumes et évidemment liée à une baisse des taux de fret. « Ce phénomène de décongestion est lié à une baisse globale des volumes. Par exemple si l’on se penche sur l’Asie, les volumes ont baissé de 24 %, alors que ce pays était au cœur d’une demande très forte de ses produits quelques mois auparavant. Entre l’Asie et l’Europe, les volumes ont aussi diminué, de près de 20 % en ce début d’année. On a des taux de fret qui pour certains clients, sont passés de 15 000 dollars, il y a encore un an, à moins de 1500 dollars aujourd’hui. Cependant, dès qu’il y a une grosse baisse des volumes, il y a beaucoup moins de congestions. L’évacuation des conteneurs à l’import ou à l’export effectue beaucoup plus rapidement… Vous avez une meilleure fluidité et donc une meilleure qualité de services. »
Aujourd’hui le transport maritime est revenu à des niveaux de taux de fret d’avant Covid. « L’inflation et la crise énergétique sont venues mettre un coup d’arrêt à une consommation effrénée depuis quelques années. Beaucoup de consommateurs se sont à nouveau orientés vers des activités de loisirs, les vacances, la restauration… mais pas forcément le gros boom de l’e-commerce qu’on a connu lors de la période du confinement. Donc il y a aussi une baisse de la consommation, elle aussi, assez forte. » Selon l’expert » l‘ensemble des entreprises ont continué d’acheter massivement lors des années Covid, notamment des marchandises sorties d’Asie. Elles étaient stockées avec anticipation, pour s’assurer qu’elles soient bien disponibles au bon moment au vu du taux de fiabilité des services très bas. Quand la consommation a commencé à chuter, une énorme quantité d’importateur s’est retrouvé avec des stocks très importants. Ce qui fait que les entrepôts sont pleins et la demande beaucoup moins forte. La priorité des entreprises a alors été de vider leurs stocks avant de passer d’autres commandes. Actuellement, certes, il y a eu une baisse des stocks, mais elle n’a pas été si marquée que ça. »
De plus, le directeur de Kuehne+Nagel précise : « On arrive à avoir des remontés et des taux de remplissage des navires qui sont de 85 %, et qui viennent freiner la relance des taux de fret, mais pour avoir à nouveau une augmentation, il faudrait atteindre des taux de remplissage des navires entre 90 % et 110 %… Concernant les armateurs, cette situation n’arrange pas leurs affaires. Actuellement, ces acteurs font face à une baisse drastique de leur revenu, car ces deux dernières années, ils ont cumulé des milliards, mais ces revenus vont très rapidement fondre. Ils risquent de perdre entre 70 % et 80 % de leur performance économique qu’ils ont connus ces deux dernières années. Les armateurs étaient plus ou moins préparés, ils savaient que c’était une situation artificielle qui n’allait pas tenir sur la durée. »
À ce jour, un autre problème se pose pour les ports. « En 2021-2022, les ports ont connu de gros problèmes d’équipements, vu que la rotation des conteneurs se faisait moins vite, ces infrastructures manquaient d’équipement vide pour assurer les commandes. Les armateurs ont majoritairement investi dans des conteneurs neufs et aujourd’hui les terminaux sont remplis de milliers de conteneurs vides qui perturbent le bon fonctionnement des ports. »
Pour les mois à venir, Stéphane Defives envisage une possible évolution. « Certes, le marché n’est pas en très bonne santé, la consommation n’est pas au rendez-vous et l’offre et la demande sont en très fort déséquilibre à l’avantage de la marchandise, mais on estime quand même que la deuxième partie de l’année devrait être plus positive et dynamique qu’elle ne l’est actuellement. En effet, on sort de l’hiver, il n’y a plus de consommation électrique ou de chauffage en masse, ce qui vient alléger les dépenses sur la partie énergétique. Et puis l’arrivée des beaux jours donne plus d’envie de consommation en ce qui concerne l’extérieur. En termes de taux de fret, on a atteint des plafonds à la baisse, il y a donc plus de chances que les taux remontent un petit peu. »
Néanmoins, pour 2024, les projections sont encore compliquées à donner. « On sait que des capacités vont continuer à arriver sur le marché car beaucoup d’armateurs ont passé une commande de nouveaux navires plus sains et plus propres pendant les années Covid. Il y a également une loi qui se met en place cette année et qui impose la réduction des émissions de CO2, qui s’opère en grande partie par une réduction de la vitesse. Ce qui est sûr, c’est que les capacités vont continuer à augmenter, donc il faut espérer qu’entre-temps le marché se reprenne, que la consommation se rebooste afin de combler le très fort décalage entre l’offre et la demande. »