À l’occasion de la « journée Transporter » organisée par Classe Export le 4 juillet dernier, plusieurs conférences étaient au programme, dont l’une intitulée « Maitriser vos risques pour optimiser votre Supply Chain ». Pour l’occasion, Amaury Bolvin, directeur général et co-fondateur de « Zéphyr et Borée », a présenté sa société. Cette compagnie maritime conçoit des navires bas-carbone et des navires de commerce à voiles modernes.
« Notre domaine d’activité est le shipping. Ce terme englobe toutes les opérations relatives au déplacement de marchandises par voie d’eau. Le shipping représente 90% du volume de marchandises transportées dans le monde, soit 3% du besoin énergétique mondial et 3% des émissions de CO2 mondiales. Ces chiffres peuvent paraître modestes, mais si l’on prend en compte toutes les industries dans le monde, elles représentent globalement entre 3 et 10% des émissions. Il est essentiel de prendre en compte l’impact cumulé de chaque secteur. »
De nombreuses annonces ont été faites concernant des objectifs à atteindre pour le transport international. « C’est une industrie en croissance, avec de plus en plus de marchandises transportées dans le monde. Les prévisions de l’ONU pour le shipping d’ici à 2050 indiquent une augmentation de plus de 20% en prenant en compte les réglementations et l’augmentation du coût de l’énergie fossile. Cependant, les efforts actuels dans l’industrie ne suffisent pas à compenser cette augmentation des marchandises transportées. »
Pour le directeur général, la décarbonation représente un véritable défi. « Il faudrait environ 7000 TWh d’énergie décarbonée pour fabriquer des carburants électriques ou des biocarburants pour décarboner le shipping. Cela représente la moitié de l’électricité décarbonée du monde. Le shipping sera en concurrence avec d’autres secteurs pour l’approvisionnement en carburants décarbonés, tels que le transport routier, l’aviation, les cimenteries et les aciéries. Nous devons développer des carburants de synthèse, des carburants électriques et des biocarburants pour répondre à ces besoins, mais cela ne sera pas suffisant en soi. »
Face à ce constat, la société « Zéphyr et Borée » a été créée. « Il fallait trouver un moyen de développer une nouvelle génération de navires beaucoup plus économes en énergie, qui ne se contentent pas seulement de réduire les émissions de CO2, mais qui permettent également de réaliser des économies d’énergie. Le meilleur moyen pour y parvenir est d’utiliser des voiles. Cette technologie a été utilisée par le passé dans le shipping, et aujourd’hui, nous disposons de systèmes de voiles bien plus robustes, automatisés et économiques que ceux d’il y a 100 ans. Nous utilisons des voiles en forme d’aile d’avion, plantées à la verticale sur le pont du navire. Sur nos projets, elles permettent d’économiser entre 20 et 60% de la consommation d’énergie des navires. Nous nous concentrons sur des navires de taille industrielle, capables de rivaliser avec les navires existants qui fonctionnent aux combustibles fossiles. »
Ce projet ne devrait pas tarder à se concrétiser. « La voile est une technologie que nous pouvons utiliser rapidement. Notre vision consiste à utiliser la voile de manière hybride, c’est-à-dire pour économiser massivement de l’énergie sur les navires de taille industrielle. Nous réalisons actuellement un projet avec un roulier de taille industrielle à voile, baptisé « Canopée ». Il devrait être opérationnel sous voile en septembre, pour le compte d’Ariane Groupe, afin de transporter leurs lanceurs de satellites entre l’Europe et la Guyane. Ce navire est équipé de quatre ailes automatisées de 375 mètres carrés, qui nous permettent d’économiser entre 20 et 40% de la consommation d’énergie, en fonction de la vitesse. »
Pour Amaury Bolvin, cette solution est généralisable partout. « Il faut voir les voiles comme des éoliennes des mers. Il y a 30 ans, on ne pouvait utiliser l’éolien que dans certains endroits du monde, car cela n’était pas rentable ailleurs. Mais aujourd’hui, grâce aux progrès technologiques, nous sommes capables de fabriquer des éoliennes beaucoup moins chères et plus grandes, ce qui nous permet d’avoir une efficacité économique de l’éolien même dans des zones où le vent est moins fort. »
Pour l’avenir, la société souhaite concrétiser d’autres projets. « Nous travaillons sur un deuxième navire, un porte-conteneurs à voile, qui assurera un service entre l’Europe et les États-Unis. Ce navire sera équipé de cinq porte-conteneurs de 1200 TEUs, mesurant 160 mètres de long et sera propulsé principalement par la voile. Avec ses six voiles, ce projet permettra d’économiser entre 5 et 60% de la consommation d’énergie du service, et nous prévoyons sa mise en exploitation en décembre 2025. »
Le directeur en est conscient, la décarbonation du transport entraîne forcément des désavantages. « Les temps de transit seront légèrement plus longs, mais cela ne sera pas discriminant et ne constituera pas un obstacle pour les chargeurs. La difficulté réside dans la nécessité de réaliser les premiers projets. Les premières initiatives commerciales sont cruciales, car elles permettront de développer une nouvelle filière industrielle dédiée à la décarbonation. Pour y parvenir, nous avons besoin du soutien des chargeurs. Ensuite, la filière pourra se développer grâce à la mise en place de démonstrateurs actifs et d’usines dédiées. »
« De plus, la décarbonation aura un coût supérieur à celui des carburants fossiles. Il faut donc considérer ces projets comme des initiatives pionnières qui démontrent leur efficacité et qui lancent le développement d’une nouvelle filière industrielle indispensable pour la décarbonation. C’est une démarche qui va au-delà de l’entreprise, c’est une démarche de responsabilité sociale des entreprises, et cela ne peut pas se réduire à une simple décision d’achat de fret. »
La voile est une solution qui peut être généralisée et appliquée sur un maximum de navires dans le monde. Actuellement, des négociations sont en cours au niveau de l’ONU concernant la décarbonation du shipping, et la voile, ainsi que la réduction de la vitesse des navires, sont mentionnées comme des solutions applicables très rapidement pour atteindre les objectifs fixés d’ici 2050.