La récente décision de la Russie de ne plus reconnaitre l’appellation contrôlée « Champagne » au profit d’une utilisation locale du nom pour des vins pétillants a surpris la communauté internationale et les autorités Françaises.
Interrogé par nos soins, Julien Scicluna, Associé Gérant du cabinet Laurent Charasse, principal cabinet de protection des marques et brevets en France n’est pas totalement inquiet sur cette annonce, même si elle mérite une vigilance accrue de la France.
Pour lui il est clair que cette décision politique est une histoire d’oligarque ayant des intérêts dans le vin pétillant qui a influé sur le Président Poutine pour satisfaire à ses intérêts personnels, mais qu’il ne convient pas à ce stade de s’alarmer sur la protection intellectuelle en Russie.
« Rappelons que le Champagne n’est pas une marque » explique Julien Scicluna, « mais une Appellation d’origine Contrôlée. C’est-à-dire une appellation qui a été mise en place pour protéger le consommateur et l’ordre public. Cela concerne presque exclusivement les produits alimentaires, il y a une seule AOC qui n’est pas alimentaire c’est le foin de la plaine de Crau. C’est donc une denrée dont les propriétés organoleptiques sont intimement liées à un territoire et à une méthodologie de travail. »
« La décision russe est aberrante, paradoxale et schizophrène, car avant tout une AOP vise à protéger le consommateur, en l’occurrence Russe, pour l’assurer qu’on ne lui vend pas un vin mousseux quelconque avec l’étiquette champagne par-dessus. Que ce vin mousseux provienne bien de la région Champenoise, qu’il a bien été élaboré selon la méthode champenoise et que ce n’est pas un blanc de blanc qui n’est qu’un champagne déclassé.»
Si le Champagne était une marque ce serait une affaire différente, d’expropriation de marque, mais une marque appartient à une entreprise, une entité juridique dont elle exploite la jouissance et dont elle possède la propriété. « Sur ce point je ne pense pas que ce soit un signe précurseur car la Russie est plutôt un bon élève en matière de marques et brevets. »
« C’est toutefois une vraie interrogation pour l’industrie agroalimentaire française, qui n’en est pas à son 1er combat sur ce sujet. On a des exemples similaires partout dans le monde et même aussi en France ou certains se sont battus pour que le camembert de Normandie soit effectivement réalisé avec du lait provenant de Normandie alors qu’en fait tout le monde savait que le camembert Président était produit en Normandie mais avec des laits qui venaient de n’importe où en Europe. »
« Les IGP et AOP sont devenues un enjeu pour l’industrie, les transcriptions nationales de ces appellations ont été remontées au niveau de l’Union Européenne pour une meilleure reconnaissance, toutefois elles sont régies et protégées par le traité de Lisbonne qui n’est pas reconnu et appliqué de façon homogène. C’est d’ailleurs sur ce sujet précis que la France bute dans les accords internationaux et c’est devenu un enjeu majeur dans les négociations internationales. Cela a été un des enjeux du Brexit ou les IGP et AOP ont fait l’objet d’un article du traité. »
« De manière assez intéressante en Chine aujourd’hui on est à l’inverse, la Chine a modifié récemment sa loi sur les marques pour mieux protéger les appellations d’origine contrôlées, les indications de provenance étrangère. Résultat, il est plus difficile pour les opérateurs économiques chinois de s’approprier frauduleusement ce qui est une appellation d’origine. Et c’est un vrai progrès. »
C’est sans doute pour cela que la décision Russe est vraiment rétrograde voir isolationniste, il y a plutôt un mouvement mondial visant à la protection des producteurs et des provenances.
« Du point de vue légal, la Russie ayant adhéré il y a 10 ans à l’OMC, il parait peut probable quelle puisse maintenir cette position, sans avoir des dommages et en subir des conséquences. Mais il est vrai que le traité de Lisbonne de son côté ne prévoit pas de sanctions pour non-respect des appellations, il convient donc d’être très vigilant pour ne pas créer le doute.»