Depuis quelques années, Fabien Esculier, chercheur au Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbains (Leesu) situé à Champs-sur-Marne, mène des travaux de recherche sur les déchets organiques humains pour remplacer les engrais chimiques. Ses nombreux travaux ont déduit que l’urine humaine aurait toutes les qualités pour remplacer les engrais azotés.
Dans sa thèse, le chercheur explique que « les plantes ont besoin de nutriments, de l’azote, du phosphore et du potassium » pour pousser. Parmi les éléments cités, certains sont présents dans l’urine humaine. Lorsque nous nous alimentons, nous absorbons des nutriments qui sont rejetés par l’urine et contrairement à certains engrais minéraux et autres boues d’épuration, l’urine est peu contaminée en métaux et pathogènes.
Utiliser cette solution pour faire pousser nos plantes ne pourrait qu’être bénéfique à l’heure où les agriculteurs utilisent des engrais azotés de synthèse néfastes pour l’environnement pour doper la croissance de leurs semences et où le conflit en Ukraine a fait explosé le prix de ces engrais Chaque année, plus de 18 millions de tonnes d’engrais minéraux sont utilisés en Europe. Les engrais les plus importés sont à base d’azote (29%), de phosphore (58%) et de potassium (78%). Et le risque d’une pénurie est bien réelle, si le conflit se poursuit.
Pendant longtemps les excréments des villes ont servi dans les champs agricoles, avant d’être supplantés par les engrais chimiques. Il y avait en effet les mauvaises odeurs mais on s’est aussi aperçu que quand ces nutriments sont rejetés en trop grande quantité dans la nature ils représentent eux aussi « une sources importante de pollution».
Par ailleurs la gestion de l’urine est un problème mondial. Chaque année, en Europe, 6000 milliards de litres d’eau potable sont souillés par 200 milliards de litre d’urine. Dans le monde, 80 % environ des eaux usées sont rejetées sans traitement. Récolter l’urine à la source aurait aussi l’avantage de rendre les procédés de traitement des eaux usées moins intensifs en énergie et moins émissifs en gaz à effet de serre.
Des expériences sont menées aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, en Ethiopie, pour séparer et récolter l’urine à la source à l’aide de toilettes repensées. De son coté Paris et Métropole Aménagement est en train de bâtir un éco-quartier avec quelque 600 logements et des commerces, où l’urine sera « récoltée » pour servir d’engrais pour les espaces verts parisiens.
Différentes techniques permettent de réduire son volume et de concentrer, voire de déshydrater, l’urée. L’urine n’étant normalement pas un vecteur important de maladies, elle ne nécessite pas de lourd traitement pour être utilisée en agriculture. Il est aussi possible de la pasteuriser.
En Gironde, créée en 2019, l’entreprise Toopi Organics a ajouté des bactéries à l’urine pour décupler ses pouvoirs fertilisants et fabriquer un concentré ultra-puissant que les cultivateurs n’ont qu’à diluer sur place. Le coût du produit fini est imbattable : 30 centimes le litre d’engrais.
Toopi Organics recycle déjà l’urine humaine pour la valoriser en fertilisant biologique, mais également bientôt en biofongicide (contre les maladies des cultures) ou bioinsecticide (contre les insectes et les ravageurs de sol type rat taupier). L’urine est collectée dans les zones urbaines puis transformée, et les produits sont distribués dans les zones rurales. Grâce à la proximité et aux circuits courts, l’empreinte écologique du modèle est facilement reproductible et limitée. Le produit Toopi dépense 167 fois moins de CO2 qu’un engrais minéral à surface égale.
Lauréat du concours Digital Inpulse, sélectionné comme l’un des Pionniers de la Deep Tech par le Challenge Hello Tomorrow, lauréat au programme NA20 qui récompense les pépites technologiques et innovantes du territoire, Toopi Organics est rentrée dans la liste des 20 startups à suivre en 2022. D’ici 5 ans, l’entreprise collectera plus de 50 millions de litres d’urine.