À l’occasion de la journée Transporter organisée par Classe export le 4 juillet dernier, plusieurs conférences se sont déroulées, dont l’une intitulée « Maîtriser vos risques pour optimiser votre Supply Chain ». Pour l’occasion, Maylis Ab-der-Haldent, directrice du développement chez Transportes Portuarios, a partagé des informations sur la société et le report modal.
« Nous sommes une entreprise routière basée à Barcelone, existant depuis 65 ans, entièrement dédiée au transport routier. Il y a environ dix ans nous avons été confrontés à deux problématiques : la pénurie de chauffeurs, et comment faire croître l’entreprise tout en restant économiquement viable face à cette pénurie. C’est alors que nous avons envisagé de nous tourner vers le report modal. En Espagne, le report modal représente moins de 2 %, étant donné l’absence de voies navigables. En France, la part combinée des modes de transport, à savoir voies navigables et voies ferrées, représente un peu plus de 10 %. Nous avons gagné un point supplémentaire l’année dernière, mais il reste encore beaucoup à faire. »
« Actuellement, nous transportons environ 50 000 conteneurs EVP* par an via le mode ferroviaire, et nous sommes propriétaires ou locataires de terminaux en Espagne, ce qui nous permet de réaliser environ 31 000 mouvements par an. En 2021, nous avons économisé plus de 6 000 tonnes d’émissions de CO2 sur l’ensemble du groupe grâce au report modal, que ce soit en utilisant la barge ou le train en Europe. Au niveau national espagnol, nous avons réalisé des économies de 2 000 tonnes d’émissions de CO2 sur une année. »
Maylis Ab-der-Haldent rajoute : « Nous disposons de trains nationaux dédiés au trafic dans la péninsule ibérique, puis nous avons deux systèmes : soit nous passons par Cerbère-Portbou, où nous effectuons ce que l’on appelle un transbordement, c’est-à-dire le passage des wagons ibériques aux wagons européens. Soit nous passons par Barcelone avec la possibilité d’utiliser le tunnel du Perthus (tunnel ferroviaire à deux tubes entre la France et l’Espagne ) avec le rail européen qui arrive exclusivement jusqu’à Barcelone pour l’instant. Cela nous a permis de faire circuler des trains entre Barcelone et Lyon. Cependant, en raison de la situation liée à la pandémie de Covid-19, les flux ont été inversés en Europe, entraînant la perte de certains contrats qui n’ont pas encore été totalement récupérés. Nous avons donc momentanément interrompu cette liaison, mais nous travaillons sur d’autres projets pour faciliter le passage de la frontière. Ces techniques existent depuis plus de 60 ans, ce n’est donc pas quelque chose de nouveau ; l’écartement des rails, je vous rappelle, remonte à l’époque de Napoléon III, et il est étonnant de voir que cela fait toujours débat aujourd’hui. »
Pour la directrice le problème est clair. « Il faut homogénéiser les infrastructures au niveau européen. Nous avons des flux de marchandises bien connus dans les corridors, et il est évident qu’en France, nous sommes appelés le « Black Hole » par la Commission européenne. C’est absolument vrai, car les marchandises nous traversent sans s’arrêter. Nous manquons d’infrastructures, de développement, et le report modal dépend de la formation et de la sensibilisation. »
Aujourd’hui, un défi se pose aux transporteurs de toutes sortes pour qu’ils agissent en tant que commissionnaires de transport tels que le définit la Cour de cassation, c’est-à-dire qu’ils aient la possibilité de proposer le transport par voie fluviale, ferroviaire ou tout autre mode, comme les drones ou les vélos électriques. « Actuellement, les opérationnels et les directions restent attachés à des schémas déjà établis et hésitent à se lancer dans quelque chose de nouveau, alors que légalement, un commissionnaire de transport est responsable de relier le point A au point B, et qu’il a une obligation de résultats, c’est lui qui choisit le mode de transport, et cela, au niveau européen, nous en sommes conscients. »
Cette solution est économiquement viable, mais nécessite une réflexion plus globale. « Nous devons prendre en compte les flux dans un sens, les flux dans l’autre, le stockage, l’impact environnemental, l’économie, la fréquence… tout cela doit être considéré dans son ensemble. Ce n’est pas simple, mais c’est faisable. Ce n’est pas très compliqué à mettre en place, tout le monde est gagnant, mais ce n’est pas encore habituel. Il faut que tout le monde joue le jeu à son échelle. Il y a des chargeurs, certains sont gros, même très gros, qui ne font pas du report modal partout, mais il faut savoir que c’est un peu comme le bio à l’époque ; certains pariaient sur le bio par conviction et l’achetaient parce qu’ils savaient que c’était bon pour eux, mais les plus gros n’y croyaient pas encore. Finalement, tout le monde s’y est mis. Donc il faut que les plus gros entraînent le mouvement pour que cela devienne habituel, c’est là que réside le véritable défi. »
Pour Maylis Ab-der-Haldent, ce n’est pas une question de capacité, mais plutôt de temps. « Le report modal consiste à transférer un mode de transport saturé vers un autre mode de transport qui a encore de la capacité. Aujourd’hui, à l’échelle européenne, les voies fluviales et les voies ferrées ont encore de la capacité. Actuellement, tous les corridors sur la côte atlantique sont en travaux pour augmenter la capacité disponible d’ici 2026, et les travaux planifiés pendant la période du Covid ont été déplacés vers l’axe Méditerranée pour augmenter la capacité, notamment du côté de Nice. La capacité est donc bien là, et selon moi, il n’y a pas de problème de capacité. Le véritable problème, c’est le manque de connaissance, car nous ne devons pas opposer les différents modes de transport, mais travailler ensemble. L’Union européenne exige une réduction de 55 % des émissions de CO2 d’ici 2030, ce qui est un objectif à atteindre dans seulement 7 ans. Pour 2050, le lobbying effectué auprès de l’Union européenne par le programme « city for Europe » de l’Union Internationale rail route vise une empreinte carbone de 0. »
Selon la directrice, il existe quatre moyens d’accélérer la transition au niveau européen : « Il faut que les chargeurs jouent le jeu, c’est-à-dire qu’ils prennent conscience qu’ils sont au début du processus. Il faut une prise de conscience de la part de la population. Les infrastructures, notre président l’a bien souligné, doivent être adaptées pour rejoindre les ports en utilisant la barge, quelle que soit l’organisation des infrastructures. L’Union européenne doit garder un œil vigilant sur les projets en cours à Bruxelles. En France, nous n’avons pas le pouvoir, ni les Allemands, ni les Italiens, ni les Suisses. Cela semble loin, et nous nous retrouvons aujourd’hui avec une carte de la France qui ressemble à un gruyère. En ce qui concerne les aides économiques, nous en avons de diverses sources, de l’ADEME, de la DGITM, de programmes spéciaux, mais tout cela est extrêmement opaque. En France, personne ne sait comment accéder aux aides pour le report modal, alors que des programmes existent. Il est donc essentiel d’accompagner ce processus. »
*de 20 pieds