L’agriculture française a affiché depuis plus de deux ans des résultats économiques satisfaisants. Que ce soit en termes de création de valeur ajoutée ou de commerce extérieur agroalimentaire, le bilan est plus qu’honorable, mais ne saurait toutefois occulter les difficultés que certains secteurs connaissent comme c’est le cas notamment de l’élevage dans son ensemble.
Au carrefour de l’économie, du social et de l’environnemental, l’élevage en France s’interroge sur son avenir. Le service Etudes économiques et prospective de Chambres d’agriculture France vient de publier un diagnostic économique détaillé sur le secteur. L’étude souligne qu’il y a certes des crises et des perspectives instables, mais surtout des inquiétudes légitimes. Inquiétudes sur l’attractivité du métier d’éleveur, sur l’autosuffisance en produits animaux du pays, sur les risques de perte de souveraineté alimentaire par ouverture croissante aux importations… et la liste est loin d’être finie.
Les filières animales françaises sont traversées par de profonds bouleversements. Le rapport souligne en premier lieu la baisse du nombre d’éleveurs et des cheptels La France, qui constitue toujours le premier cheptel bovin de l’Union européenne avec près de 17 millions de têtes en 2022 (soit 23 % des bovins de l’UE) perd tous les dix ans de plus en plus d’exploitations. Le décrochage est particulièrement important en élevage laitier, où les exploitations sont passés de 175 000 en 1988 à 35 000 en 2020. En bovin viande, il ne reste plus que 48 000 exploitations, contre 62 000 dix ans plus tôt. Quel que soit le secteur animal, les cheptels reculent, posant la question de l’approvisionnement du marché national et donc de la montée de la dépendance aux importations.
Certes la consommation de viande en France diminue (entre 1980 et 2021, les Français ont réduit de 15 kg leur consommation, notamment de viande bovine) mais si consommer moins de viande est une recommandation en Occident, cela ne semble pas être le cas dans d’autres régions du monde qui ont effectué un rattrapage de leurs niveaux de vie. Au Brésil par exemple, la consommation de viande est passée de 25 kg/an/hab en 1960 à aujourd’hui autour des 100 kg. En Chine, 5 kg/an/hab. en 1960, contre 60 kg de nos jours. En Russie, de 20kg, elle se situe aujourd’hui aux alentours de 80. La moyenne mondiale est évaluée à 44 kg/an/hab. et les projections établies par l’OCDE et la FAO indiquent que la demande mondiale de viande pourrait croître de quelque + 2 % à l’horizon 2032 sous l’impulsion des pays à revenus intermédiaires. Concernant le lait et les produits laitiers, la croissance de la consommation par habitant dans le monde est estimée à + 0,8 % par an d’ici 2032. Les pays d’Afrique, l’Inde et le Pakistan seront les foyers de cette croissance de la demande. Dans les pays industrialisés, c’est surtout le fromage qui tirerait vers le haut la demande mondiale de produits laitiers.
Ouverts sur le monde, les éleveurs français exportent, mais il est aussi nécessaire de mesurer ce qu’ils exportent et vers où se dirige leur production. Les échanges extérieurs sont excédentaires en animaux vivants et en produits laitiers, mais sont de plus en plus déficitaires en viandes transformées, le secteur le plus touché par cette dynamique étant la volaille.
Le Réseau Action Climat, Oxfam France et Greenpeace France ont récemment publié un rapport sur les exportations françaises de produits d’élevage vers les pays en développement qui révèle que les filières françaises de lait, porc et volaille de chair exportent respectivement à hauteur de 42%, 39% et 25% de leur production. La part de ces exportations destinée aux pays en développement est en augmentation et concerne essentiellement des produits très bas de gamme comme le « poulet export », les bas morceaux du porc ou le lait en poudre. Parallèlement, la France importe des morceaux plus haut de gamme pour répondre à la demande alimentaire de la population française. Ainsi, 60 % de la viande de volaille en restauration collective est importée, et près de 58 % de la crème utilisée par l’industrie agroalimentaire. Cette stratégie d’exportation de produits low cost, dominée par des entreprises agroalimentaires très puissantes, enferme par ailleurs les éleveurs français dans une course à la concurrence et à la recherche du coût le plus bas possible sur des marchés internationaux volatiles et peu rémunérateurs.
Parallèlement l’évolution de la consommation de produits animaux issus d’élevages bio est aussi une source de préoccupation. L’internationalisation des marchés de la viande a plongé les élevages bio dans un univers concurrentiel parfois rude, y compris, et sans doute surtout, au sein même de l’Union européenne, notamment depuis les adhésions de pays comme la Pologne. Sur le marché intérieur les produits alimentaires labellisés bio semblent être délaissés en période d’inflation. Les agriculteurs et éleveurs qui se sont engagés pour des prix d’achats plus élevés n’y trouvent plus leur compte et les cessations d’activités élevées risquent de dépasser les nouveaux engagements. Selon les études on risque d’assister à une vague de dé-conversion en 2024, après plus de trois ans de difficultés.
Face à la poursuite de la décapitalisation du cheptel, au repli de la production et à la hausse des importations, qu’elles expliquent dans leur étude, les Chambres d’agriculture veulent mettre l’accent sur l’accompagnement des éleveurs de ce secteur fragilisé. Plusieurs organisations appellent quant à elles les pouvoirs publics à accompagner la réorientation des stratégies commerciales de la filière, réviser les politiques agricoles, sortir des élevages intensifs et enclencher la transition vers un élevage durable. Les facteurs d’influence sont nombreux, les enjeux pour demain considérables et les incertitudes importantes (climatiques, sociétales, sanitaires…) ce qui complexifie et pèse sur les décisions à prendre pour préparer l’avenir.