Il en a été question souvent lors des manifestations d’agriculteurs, Emmanuel Macron en a reparlé la semaine dernière lors de sa visite d’État au Brésil, l’accord UE-Mercosur en l’état ne satisfait pas la France. “Tel qu’il est aujourd’hui négocié, l’accord UE-Mercosur est très mauvais, pour vous comme pour nous.” a même indiqué le président français devant un parterre d’hommes d’affaires réunis pour un forum économique à São Paulo.
Les négociations sur le traité de libre-échange entre le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie) et l’UE ont commencé il y a 25 ans, en 1999, et les deux blocs ne sont parvenus à un accord de principe qu’en juin 2019. Les négociations finales sont cependant actuellement au point mort en raison des exigences environnementales introduites l’an dernier par un groupe de pays européens emmené par la France. Fin janvier, alors que les agriculteurs ne décoléraient pas en Europe, la France avait indiqué que les discussions sur cet accord avaient donc été suspendues par la Commission européenne.
Les accords de libre-échange, et tout particulièrement celui avec le Mercosur, était un point de crispation important des agriculteurs français. Ces derniers dénonçaient une concurrence déloyale, arguant que les normes environnementales et sociales européennes sont de loin plus exigeantes que celles qui touchent les agriculteurs sud-américains. « Il est malhonnête de la part de la Commission d’imposer aux agriculteurs européens des règles strictes et de signer en même temps des accords qui laissent entrer dans l’Union des denrées produites sans respecter ces mêmes règles » entendait-on à l’époque… malhonnête et potentiellement dangereux. Le Brésil par exemple utilise encore certaines farines animales et des antibiotiques comme activateurs de croissance dans leurs élevages, alors que cela est interdit en Europe. Le pays a aussi recours à des dizaines de molécules de pesticides proscrites en Europe. Dernier exemple en date : une étude de Greenpeace sur les citrons verts importés du Brésil qui a démontré que des substances toxiques, dont certaines ne sont pas autorisées dans l’UE, sont exportées vers le Brésil et renvoyées en Europe sous forme de résidus dans les denrées alimentaires. En visite en Suède fin janvier, le chef de l’Etat français avait de nouveau exprimé son refus de conclure l’accord, dénonçant l’existence de “règles qui ne sont pas homogènes avec les nôtres”. Le vice-président exécutif de la Commission européenne, le letton Valdis Dombrovskis avait de son côté déclaré : « une conclusion des négociations avec le Mercosur est à portée de main avant la fin de ce mandat. Nous travaillons à saisir cette opportunité qui revêt une importance géopolitique majeure. »
Ce projet d’accord commercial, discuté entre les deux organisations depuis plus de 20 ans, prévoit notamment l’abaissement, voire la suppression de droits de douane sur plusieurs produits. Celui-ci prévoit l’abaissement de 90 % des droits de douane entre les deux espaces. Il concernerait près de 780 millions de personnes et, en termes de volumes d’échanges, couvrirait entre 40 et 45 milliards d’euros d’importations et d’exportations. Si une première ébauche de l’accord avait été établie après vingt ans de négociations, l’UE avait ensuite exigé de la compléter, car elle ne présentait pas de garanties suffisantes sur le climat, la protection de l’environnement et les normes sanitaires dans l’agriculture. La France réclame en particulier deux garanties : L’assurance d’un développement durable des pays via le respect de l’accord de Paris et la réciprocité en matière de normes de production – pour établir une égalité de concurrence entre les deux rives de l’Atlantique.
Autre sujet d’inquiétude, le rapport de force inégal dans certaines filières. Certains n’hésitent pas à qualifier les pays du Mercosur de « rouleau compresseur agricole », capables d’écraser l’agriculture européenne et de déstabiliser des filières. Le traité permettrait notamment l’importation en Europe d’énormes quotas de viande bovine, porcine, de volaille, de sucre et d’éthanol venus de ces pays d’Amérique latine . « Le Mercosur est un géant économique, plus grand que n’importe lequel de nos partenaires. L’Argentine et le Brésil exportent à eux seuls chaque année la même quantité de maïs que celle produite chaque année dans toute l’Union européenne ». En matière agricole par exemple à l’échelle globale, la mondialisation a plutôt été préjudiciable à l’agriculture française. En vingt ans, nous sommes passés de 2e à 6e exportateur mondial.
Parmi les pays les plus favorables à un accord figurent, l’Allemagne (ou l’accord UE-Mercosur bénéficie d’un large soutien, principalement de la part des secteurs industriels orientés vers l’exportation, tels que l’industrie automobile et la construction mécanique), mais aussi l’Italie et l’Espagne. Pour ces défenseurs de l’accord, grâce à la tombée des barrières douanières, les Européens gagneront en compétitivité face à l’influence chinoise, mais aussi accéderont à des ressources précieuses (telles que le lithium chilien) à l’échelle européenne.
Ces dernières années, l’UE a continué de signer des traités avec d’autres pays tiers, comme la Nouvelle-Zélande ou encore le Kenya. Des négociations sont également en cours avec l’Inde et l’Australie mais c’est le projet de traité avec le Mercosur qui cristallise actuellement le plus les tensions. Le président français au Brésil a appelé à “bâtir un nouvel accord qui tienne compte des nouvelles exigences en matière de développement, de climat et de biodiversité”. Pour les pays du Mercosur, dans la saga des négociations UE-Mercosur, le continent européen est le grand perdant… en termes de parts de marché et de futures opportunités en Amérique du Sud, mais aussi dans sa crédibilité quant à son “rôle géopolitique”.