L’année 2022 avait pourtant bien commencé, mais le conflit en Ukraine et ses effets en termes d’inflation et de ralentissement économique sont venus inverser la tendance… Bp2r, le cabinet français de conseil en Supply Chain spécialiste du transport de marchandises, publie les résultats de son rapport annuel dédié aux chargeurs. Réalisée en partenariat avec l’AUTF, l’organisation professionnelle des chargeurs, l’étude a été réalisée en interrogeant 206 professionnels francophones.
Selon cette enquête la dynamique de ralentissement des volumes est clairement visible en 2022 (et cela a été établi dès le second semestre de l’année). En conséquence, l’année dernière, les chargeurs ont constaté un rééquilibrage entre l’offre (la capacité de transport), et la demande (les volumes à transporter). Il semble que l’effritement de la demande ait participé à un rééquilibre du marché, qui est moins perçu en état de sous capacité par les chargeurs. Des tensions sont toujours actives au niveau de l’offre structurelle sur différents plans, parmi lesquels la pénurie durable de chauffeurs, les difficultés d’approvisionnement en véhicules, constatées à partir de la crise provoquée par le COVID, ou encore les impacts du paquet mobilité. Dans le détail, la situation apparaît plus tendue sur les activités de transport spécifiques que sur la marchandise générale. Du côté des citernes (vrac liquide ou pulvérulent), les choses sont un peu plus équilibrées, cela traduit bien le fait que, sur des flux bien établis, les accords sont passés et il n’y a pas de problème de capacité. Enfin, concernant les bennes (vrac solide), la situation est moins tendue. C’est assez logique et habituel puisque l’on parle d’un marché de niche, sur lequel gravitent beaucoup de petits acteurs locaux indépendants.
À l’international on voit que la situation est beaucoup moins complexe que lors des deux années précédentes. Un fait étonnant car on aurait pu s’attendre à de vraies difficultés rencontrées par les chargeurs à l’issue de la mise en œuvre du paquet mobilité européen qui a encore pris une nouvelle ampleur en début d’année 2022. Dans la réalité, cette nouvelle ampleur s’est enclenchée au moment même où la demande a commencé à s’effriter. Bien sûr, les contraintes ont été amplifiées, mais les impacts ressentis sont moindres du fait de la demande moins soutenue. Cette dichotomie reflète aussi une réalité : le transport domestique en France est largement exécuté par des transporteurs nationaux. En 2021, selon le SDES, les transporteurs français prennent en charge 92,5 % du transport national (cabotage 7,5%). En revanche, les transports internationaux vers ou depuis la France sont réalisés à plus de 90 % par des pavillons étrangers. Ce phénomène n’est pas nouveau et a tendance à s’accentuer. Il est principalement lié au manque de compétitivité du pavillon français, qui a laissé toute la place aux pavillons étrangers (à plus bas prix), mais aussi à la faible « culture internationale » qui caractérise depuis toujours le transport français.
En termes de taux de reports/annulations, la situation s’améliore mais demeure largement « anormale » (6,1% en 2022 vs 6,7% en 2021). C’est une surprise dans un contexte capacitaire moins tendu et cela démontre que les perturbations de la supply chain demeurent.
Sans surprise en revanche, du fait d’une hausse généralisée des coûts de production du transport, les chargeurs ont constaté, en 2022, une hausse inédite des prix du transport avec une moyenne, hors carburant, de + 4,4% (ils prévoient une hausse de 4,3% pour 2023). Côté transporteurs, les hausses généralisées de coûts continuent à se répercuter sur les prix du transport. On retrouve bien sûr les coûts humains, avec 3 revalorisations successives des grilles salariales des conducteurs pour une moyenne de plus de +12% sur l’année 2022. Le prix des véhicules, + 11% sur la même période, s’ajoute à la balance. On peut encore citer les postes de maintenance, les péages ou encore les coûts de détention du matériel. Et on ne parle même pas ici du poids considérable de l’énergie qui vient encore plus gonfler les coûts.
En tête donc des enjeux prioritaires pour 2023, celui des coûts (3,6/5 vs 3,2/5 en 2022) se hisse presque au niveau de la qualité de service (3,7/5 vs 4,2 en 2022). On est dans un contexte général de chasse aux coûts. Les aléas (production, ruptures…) génèrent des surcoûts de toutes natures qui sont difficiles à maîtriser pour les entreprises, qui cherchent à rationaliser. Avec des perspectives réglementaires qui se font se font de plus en plus concrètes et de moins en moins lointaines, l’enjeu RSE continue sa lente progression (2,7/5). Quant à la transformation digitale, elle reste l’enjeu le moins primordial de cette année (2,1/5) peut-être du fait des coûts et implications opérationnelles qu’elle nécessite. Parmi les leviers envisagés pour travailler ces enjeux, on note chez les industriels une véritable percée des outils de pilotage et d’optimisation du transport (53%) alors que ce levier était nettement en retrait l’année précédente (28%). On sent chez eux une vraie volonté de se donner les moyens d’agir avec les bons outils. Du côté des distributeurs, à l’instar des industriels, les leviers d’ingénierie de flux intéressent davantage, à l’image de la réduction des fréquences de livraison (33% en 2023 vs 26% en 2022), traditionnellement un sujet tabou.
Autre résultat de cette étude, les principales attentes des directions générales vis-à-vis du transport de marchandises sont, selon les répondants, à 55% d’assurer le service et d’éviter les ruptures et à 37% de contenir voire réduire les coûts. Les chargeurs sont plus nombreux à avoir conscience de la nécessité de structurer leur organisation à long terme, en profondeur. La moitié d’entre eux (51%) souhaite combiner « quick wins » et leviers d’optimisation à plus long terme. Les chargeurs sont cette année plus nombreux à juger moyenne la situation financière de leurs transporteurs, mais la majorité d’entre eux l’estiment toujours bonne. Cela est sans doute dû au fait que les chargeurs ont le sentiment d’avoir accompagné les transporteurs dans leurs difficultés. En effet, avec les fortes tensions capacitaires début 2022, les chargeurs ont concédé de fortes revalorisations tarifaires. Par ailleurs le niveau élevé du prix de l’énergie a été répercuté notamment grâce aux mécanismes d’indexation ou compensé par des mesures ponctuelles.
L’année 2023 semble tout de même se présenter sous de bons auspices, les répondants sont plus de 60% à anticiper une récession ou stagnation des volumes. « Pour 2023, les chargeurs s’attendent à moins de tensions, aussi bien en domestique qu’à l’international. Mais il n’est pas certain que cette anticipation soit tout à fait une bonne nouvelle : elle traduit tout simplement leurs forts doutes quant aux volumes à transporter » explique Xavier Villetard, directeur associé de bp2r. Selon lui, les réponses obtenues confirment également que « nous sommes dans un contexte de chasse aux coûts. Et, bien que l’activité transport s’inscrive désormais au cœur des stratégies Supply Chain » il déplore que « très peu de répondants fassent état d’une hausse des investissements des entreprises dans leur transport, tant au niveau humain que digital. »
Le transport, devenu une ressource rare, chère, n’est plus une variable d’ajustement : l’activité s’inscrit désormais au cœur des stratégies Supply Chain.