Reliant la Chine à l’Europe via l’Asie centrale et la Mer Caspienne, cette route offre une alternative au commerce maritime et à la traversée de la Russie. Mais ce corridor souffre encore de goulots d’étranglement. L’objectif est de diviser par deux le temps de transit qui dépasse 50 jours.
Changement de paradigme géopolitique en matière de logistique ou chimère ? Les avis sont partagés sur l’avenir du corridor de fret centre-asiatique. Aussi dénommé Middle Corridor (MC) ou encore TITR pour Trans-Caspian International Transport Route, cette combinaison d’infrastructures de transport ferroviaire et maritimes, part de l’Ouest de la Chine pour relier l’Europe, via le Kazakhstan, la mer Caspienne, l’Azerbaïdjan, puis la Turquie ou la côte géorgienne sur la Mer Noire. Cette version contemporaine des Routes de la Soie historique est soutenue par la Chine mais elle est surtout, de plus en plus promue par les pays de transit, dans une logique intercontinentale, mais aussi intrarégionale.
Un rapport de la Banque mondiale, publié le 27 novembre dernier, estime que ce corridor pourrait assurer la résilience et la diversification des routes pour le commerce de conteneurs Chine-Europe, protégeant ainsi les chaînes d’approvisionnement des chocs géopolitiques.
« Nos (…) données confirment que le Corridor du Milieu est non seulement viable, mais peut également devenir essentiel pour les économies des pays situés le long du tracé », estime ainsi Antonella Bassani, vice-présidente de la Banque mondiale pour l’Europe et l’Asie centrale. « L’Azerbaïdjan, la Géorgie et le Kazakhstan, ainsi que d’autres pays, ont réalisé des progrès considérables dans l’alignement de leur vision et dans la progression de ce corridor. La Banque mondiale s’engage à soutenir le Corridor du Milieu en partenariat avec les gouvernements situés le long du tracé et d’autres organisations multilatérales ».
En ce sens, trois compagnies de chemin de fer, Azerbaïjan Railways, Kazakhstan Railways, et Georgian Railway ont signé le 26 octobre à Tbilissi un accord pour créer une joint-venture appelé Middle Corridor Multimodal Ltd. Basée à Astana, et détenue à parité par les trois acteurs ferroviaires, cette société proposera des services logistiques multimodaux avec la promesse d’un guichet unique. Cet accord s’inscrit dans la suite de nombreuses réunions de travail entre les pays de la région, partenaires de l’association interétatique de coordination TITR créée en février 2014, peu après le lancement des Nouvelles Routes de la Soie par Xi Jinping à Astana en septembre 2013.
Selon le rapport de la Banque mondiale, il est possible -sous conditions- de tripler le trafic actuel d’ici à 2030 pour atteindre 11 millions de tonnes et aussi de réduire de moitié le temps de transit. Cette durée, variable selon le type de fret, atteint actuellement pour un conteneur, selon un exemple cité par le rapport, 50 à 53 jours pour relier les villes frontières de Dostyk (Kazakhstan) ou Khorgos (Chine) au port de Constanta sur la Mer Noire en Roumanie. Par comparaison, le temps de transport maritime entre les ports de Shanghai et Gênes en Italie est de l’ordre de 30 jours.
Pour concurrencer la route maritime traditionnelle, il faudra cependant investir lourdement au vu des déficiences opérationnelles actuelles. Après l’invasion russe de l’Ukraine, le trafic de conteneurs sur le corridor a bondi de 33 % en 2022, une progression inédite. « Les limites du corridor sont rapidement apparues« , pointe la Banque mondiale qui indique que « bien que la capacité technique opérationnelle du Middle Corridor n’ait pas été atteinte, les problèmes de passage des frontières, de transbordement et de coordination ont entraîné des retards de transport très élevés et un retour vers des corridors alternatifs« . Résultat, sur les huit premiers mois de l’année 2023, le trafic de conteneurs a replongé de 37%.
Si le rapport de la Banque mondiale ne chiffre pas les investissements nécessaires, une récente étude conjointe de la BERD et l’Union européenne, publiée en juin dernier, estime, de son côté, à 18,5 milliards d’euros en une quinzaine d’années, les investissements nécessaires pour doper le corridor (infrastructures et matériels ferroviaires, extensions de capacités portuaires, centres logistiques, etc…). A cette condition, le trafic conteneur de transit qui s’est élevé à 18 000 TEU en 2022 pourrait faire un énorme bond à 865 000 TEU à horizon 2040, selon le scénario le plus favorable de la Berd. Sans mesures massives d’investissements, le niveau de trafic progresserait, mais de façon plus modeste pour atteindre tout de même 130 000 TEU en 2040.