Une étude académique publiée par la Banque centrale européenne (BCE) tente de quantifier les risques liés aux tensions commerciales croissantes entre blocs rivaux. Les échanges internationaux de biens intermédiaires pourraient à terme plonger d’environ 20%.
Un modèle dans lequel les chaînes de valeur mondiales (CVM) seraient redéfinies en réponse aux préoccupations sécuritaires internationales pourrait entraîner un renversement de l’intégration commerciale mondiale…. telle est la principale conclusion d’une note publiée dans le Bulletin économique de la BCE.
Ce texte tente de quantifier l’impact du « friend shoring » et autres relocalisations régionales, phénomène économique qui fait que les pays ont depuis la montée des tensions géopolitiques (conflit en Ukraine, guerre commerciale Etats-Unis – Chine…) tendance à privilégier le commerce avec des partenaires politiquement proches.
Selon Maria-Grazia Attinasi, Lukas Boeckelmann et Baptiste Meunier, auteurs de la note de la BCE, un scénario de fragmentation des échanges commerciaux entraînerait des pertes commerciales nettes allant de 12 % à 19 % entre deux grands blocs, celui de l’Ouest (Europe et Etats-Unis) et de l’Est (Chine et ses alliés à l’ONU). En termes qualitatifs, ces pertes seraient principalement centrées sur les biens intermédiaires (-19 % à -25 %). Avec pour effet de ramener leurs échanges au niveau du milieu des années 1990, soit avant la grande vague de libéralisation du commerce mondial.
L’étude prend pour hypothèse la mise en œuvre de barrières non-tarifaires plus élevées au commerce entre blocs par exemple sous la forme de réglementations ou de normes plutôt qu’à des tarifs douaniers, « ce qui reflète la portée des politiques commerciales les plus récentes« , selon le texte du Bulletin de la BCE. Pour les auteurs, l’impact dépressif s’opère surtout par le canal des prix : « des barrières commerciales plus élevées font augmenter les prix des importations. En conséquence, les producteurs de chaque bloc se détournent des intrants « étrangers » plus chers, générant ainsi un choc de demande pour les fournisseurs en amont, ce qui entraîne une baisse des flux commerciaux entre les blocs« , détaille la note.
Bien qu’il ne soit pas la cible directe des barrières commerciales, le commerce des produits finis diminuerait par ailleurs entre 1 % et 9 %.
D’un point de vue purement économique, « la fragmentation des échanges serait une situation perdant-perdant compte tenu des coûts qu’elle entraîne tant au niveau mondial qu’au niveau national » selon l’étude qui rappelle par ailleurs que « des données académiques suggèrent que la relocalisation pourrait accroître les vulnérabilités économiques, dans la mesure où le partage des risques et la diversification seraient réduits« .
Ce texte de la BCE s’ajoute aux travaux de diverses institutions sur le même thème, dont ceux du FMI, qui estime à 2% du PIB mondial les pertes potentielles si la tendance se poursuit.
Assez récent, le concept de « friend shoring » a été développé pour la première fois par Janet Yellen, la secrétaire américaine au Trésor le 13 avril 2022 dans un discours devant le think tank « Atlantic Council ». Ce phénomène naissant ne cesse, depuis, d’attirer l’attention des économistes ou de leaders internationaux comme la directrice générale de l’OMC Ngozi Okonjo-Iweala qui s’en est inquiétée à plusieurs reprises cette année.