Guerre technologique Chine – Etats-Unis, embargo occidental sur les produits russes, opposition sur les subventions vertes entre Washington et Bruxelles …. Sous des formes variées, la résurgence d’une logique de blocs géopolitiques opposés, voire antagonistes est désormais inscrite dans les relations internationales. Au-delà des enjeux de sécurité, cette situation fait peser des risques sur la croissance mondiale, et indirectement le développement humain sur toute la planète. Tel est le signal d’alarme que viennent de lancer les économistes du Fonds monétaire international (FMI).
A l’occasion des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale à Washington début avril, le fonds vient de consacrer un chapitre entier de sa publication phare sur l’économie mondiale (World Economic Outlook) à cette thématique, sous le prisme des investissements directs étrangers (IDE).
Conclusion de cette étude, la fragmentation de la géoéconomie et la réorientation des IDE pourrait coûter 2% en termes de PIB mondial d’ici à 5 ans, soit plus de 2 100 milliards de dollars, l’équivalent du PIB du Brésil ou encore du Canada.
L’étude du FMI montre que les entreprises internationales participent déjà largement de ce mouvement. Dans un contexte de baisse tendancielle des IDE depuis la crise financière de 2008, les investisseurs privilégient pour leurs projets les zones où la proximité politique est la plus grande. Ainsi la part des IDE totaux localisés dans des pays proches politiquement du pays de l’investisseur croît de façon continue depuis environ une décennie. Elle est passée de 37% en 2010 à 52% en 2021. Dans le même temps, le facteur de proximité géographique a plus faiblement progressé. Les amis seraient plus importants que les voisins ! Et ce n’est pas fini…
« Les politiques récentes mises en œuvre à grande échelle par les grands pays pour renforcer les secteurs manufacturiers stratégiques nationaux suggèrent qu’un déplacement des flux de capitaux transfrontaliers est sur le point de prendre place », estime le texte du FMI.
Autre illustration, les concepts de « nearshoring » ou « friend shoring » sont cinq fois plus cités aujourd’hui, comparé à 2019, dans la communication financière de l’entreprise, rappellent les auteurs de l’étude du FMI.
Ces analyses documentent le concept de « friend shoring » développé voilà juste un an par Janet Yellen, la secrétaire américaine au Trésor. Dans un discours du 13 avril 2022 devant l’Atlantic Council portant notamment sur la nouvelle stratégie commerciale américaine, elle avait appelé à une relocalisation des investissements américains vers des pays amis, indiquant : « favoriser le ‘friend-shoring’ des chaînes d’approvisionnement dans un grand nombre de pays de confiance, afin que nous puissions continuer à étendre en toute sécurité l’accès au marché, réduira les risques pour notre économie ainsi que pour nos partenaires commerciaux de confiance ».
Signe des temps, plusieurs études économiques récentes se penchent sur ce nouveau concept de « friend-shoring », dont une publiée en février par la BCE. Une de ses conclusions est que si le phénomène s’amplifie, la perte de valeur pour les pays concernés pourrait se situer entre 0,9% et 5,3%.
En attendant, l’OMC vient de prévoir une croissance du commerce mondial de seulement 1,7%, en 2023, soit moins que la croissance mondiale, estimée à 2,4%.