L’administration Biden a édicté le 7 octobre dernier des nouvelles règles strictes sur la vente de technologies de pointe à la Chine. Certains industriels européens sont aussi concernés.
Depuis quelques semaines, l’affrontement commercial et stratégique entre les Etats-Unis et la Chine sur les technologies de pointe a atteint un niveau inédit, au point qu’il fait figure désormais de guerre ouverte entre l’administration Biden et la Chine de Xi Jinping. Cet affrontement risque de bouleverser les courants d’affaires des industriels américains. Sous pression du gouvernement américain, Apple a, par exemple, récemment suspendu un important projet d’achat de puces à la société chinoise à capitaux public Yangtze Memory Technologies Co (YMTC) pour des mémoires flash destinées à ses IPhone.
Les fournisseurs d’équipements pour les fonderies et autres usines de puces sont aussi en première ligne. Le groupe californien Lam Research Corp. vient ainsi d’estimer qu’il pourrait perdre la moitié de son activité en Chine pour un montant d’environ 2,5 milliards de dollars, soit 15% de son chiffre d’affaires mondial. D’autres équipementiers comme KLA Corp. ou Applied Materials devraient aussi être affectés, et le mouvement pourrait bien faire ricochet en Europe, comme le montre l’exemple du groupe néerlandais ASML, l’un des leaders mondiaux des machines de photolithographie.
ASML, ce géant qui pèse 200 milliards d’euros en bourse, est dans le viseur des autorités américaines pour ses activités de fourniture de machines de pointe aux industriels chinois. La pression sur ASML s’était déjà accentuée en juillet dernier, indiquait alors Blomberg. Elle n’a fait que croître. Depuis début octobre ASML a demandé à ses ingénieurs et techniciens de nationalité américaine travaillant en Chine de suspendre leur activité. Le groupe, tout en relativisant l’impact de cette situation, a admis lors d’une conférence financière le 19 octobre que son carnet de commande mondial serait affecté à hauteur de 5% par les dernières restrictions américaines. En effet, certaines de ses lignes de production de machines sont situées en Californie et tombent donc directement sous le coup des toutes dernières directives restrictives américaines.
L’administration Biden est, en effet, passée une nouvelle fois à l’action le 7 octobre dernier, via le Département du commerce et son Bureau of Industry and Security (BIS) qui réglemente certaines exportations sensibles. Une circulaire du BIS (
accessible en ligne) détaille les nouvelles restrictions. Celles-ci portent sur la vente de certaines puces de dernière génération à la Chine. A cela s’ajoute, par exemple, l’obligation d’examen préalable par l’administration américaine de certaines ventes de services ou d’équipements de fabrication à la Chine. Le texte du BIS ajoute aussi plusieurs noms à une liste d’«entités » (entreprises ou centre de recherche chinois) avec qui toute coopération ou relation d’affaires est soumise à licence, ces entités étant déjà au nombre de plusieurs dizaines. La circulaire restreint aussi la possibilité pour les citoyens américains de supporter le développement ou la production de circuits intégrés de pointe dans certaines usines chinoises. Ces mesures sont justifiées par des impératifs de « sécurité nationale», selon l’administration américaine qui estime notamment que la Chine utilise les puces de dernière génération pour produire « des équipements militaires avancés, y compris des armes de destruction massive (…) ».
Coté chinois, au delà de la condamnation de ces mesures par les autorités de Pékin, ce rude coup va inciter le pays, selon les experts à accélérer le développement des technologies, de gravure notamment, les plus avancées.
57 MILLIARDS DE DOLLARS DE SOUTIEN AU « MADE IN USA »
A noter que dans un autre volet de cette bataille technologique, celui de la production « Made in USA », les Etats-Unis ont adopté, cet été, un texte bipartisan au Congrès, promu aussi par la Maison Blanche et portant sur le soutien à cette industrie des puces. Dénommée « Chip and Science Act », la loi a été signée par Joe Biden le 9 août dernier, puis le texte d’application (« executive order ») validé le 25 août. Le « Chip and Science Act » prévoit de nombreuses mesures pour relancer l’industrie des semi-conducteurs aux Etats Unis, qui a perdu d’importantes parts de marché ces dernières décennies, un peu au profit de la Chine, mais surtout de la Corée du sud et de Taiwan qui abrite le leader mondial TSMC.
Le « Chip and Science Act » prévoit notamment 57,2 milliards de dollars sur cinq ans de subventions et crédits d’impôt pour soutenir l’investissement, la production et la R&D sur le sol américain.
Pour rappel, l’Union européenne, de son côté, a son propre projet de « Chip Act ». Présenté le 8 février par le commissaire à l’Industrie Thierry Breton, le texte est en phase de consultation au Parlement européen. Il devrait, selon l’Union européenne, entraîner des investissements publics et privés supplémentaires de plus de 15 milliards d’euros dans l’industrie microélectronique, ceci notamment par le canal de futurs PIIEC (Projets Important d’Intérêt Européen Commun).
En attendant, à l’image de ASML, d’autres champions européens comme les équipementiers autrichiens EV Group ou IMS Nanofabrication vont devoir naviguer en eaux troubles entre la Chine et les Etats-Unis.