Commençons pas balayer les idées reçues : non, ce n’est évidemment pas le taux de change de l’Euro qui est responsable de nos performances export moins bonnes que l’Allemagne; ce n’est pas non plus le coût du travail en France qui explique nos résultats moins bons que la Suisse; ce n’est pas notre base industrielle limitée qui explique notre moindre performance que l’Espagne; ce ne sont pas nos importations d’énergie qui expliquent notre moindre performance que l’Italie; et enfin non, la simple amélioration de la compétitivité moyenne de nos entreprises par la baisse des impôts de production ne suffira pas à l’amélioration de notre performance commerciale internationale.
Si on regarde les pays qui ont réussi à l’international au cours des dernières décennies, on observe un point commun : ils partagent tous et depuis longtemps un profond respect pour le développement et la capitalisation de la compétence commerciale internationale : formation massive d’étudiants en international business depuis les années 70 en Scandinavie puis dans les pays anglo-saxons ; création de sociétés dédiées à la seule commercialisation export telles que agents export et sociétés de commerce international en Allemagne, Japon et Corée; mobilisation de la diaspora et la coopération entre entreprises en Italie. Dans chacun de ces pays le succès à l’exportation est associé à une ou plusieurs forme(s) de développement de la compétence commerciale internationale.
Un choc de compétence commerciale export
La complexification des opérations d’exportation, le déplacement du barycentre de la croissance mondiale vers les marchés des pays émergents d’Asie et d’Afrique, la digitalisa-
tion du marketing et du commerce, les défis de la décarbonation sonnent le glas des approches simplistes et individualistes de l’exportation.
Le rebond de l’exportation française passera donc par un choc de compétence commerciale export, c’est-à-dire la mise à la disposition de toutes les PME et ETI de solutions commerciales internationales appropriées : boost des formations en international business, meilleure utilisation des agents export et sociétés de commerce international, mobilisation des compétences commerciales de la diaspora française à l’étranger, activation plus massive des solutions d’externalisation commerciale export, etc. Mais également par la stimulation de la coopération entre exportateurs sous toutes leurs formes, pour partager de l’information sur les marchés, échanger sur leur pratique de l’international voire prospecter ensemble des marchés ; tout ceci existe déjà mais doit être massivement développé.
Redessiner l’équipe de France de l’export
Cet objectif appelle une profonde réorganisation pour ceux qui apportent du soutien aux exportateurs, qui vont devront apporter des solutions commerciales beaucoup plus diversifiées pour aider toutes les entreprises, y compris celles qui manquent de compétence commerciale internationale : ne pas proposer des services uniquement pour les entreprises qui veulent prospecter par elles-mêmes (veille sectorielle, salons, VIE, formation, etc.) mais également apporter des solutions pour celles qui préfèrent partager le risque de l’exportation avec des tiers (externalisation commerciale export, recours aux agents export, collaboration avec les sociétés de commerce international, association avec des distributeurs digitaux, etc.) et celles qui veulent aborder l’exportation en réseau (coopération entre exportateurs, partage de commerciaux export, etc.). Le but étant que, quelle que soit sa taille et sa maturité export, toute entreprise se voit proposer des solutions de développement commercial export qui soient en phase avec ses compétences.
Ce serait une petite révolution copernicienne pour notre écosystème exportateur : mettre l’entreprise au centre, telle qu’elle est, avec les compétences export dont elle dispose, et chercher à lui proposer des solutions commerciales qui lui correspondent le mieux, sans a priori, et sans chercher à privilégier particulièrement telle ou telle solution ; cette révolution copernicienne est un vieux serpent mer : toujours évoquée, jamais vraiment entreprise. Mais peut-être ce chiffre de 84 Mrds de déficit peut-il y contribuer.
Je propose trois principes de base pour réaliser cette transformation : la spécialisation doit être la règle qui régit l’intervention des acteurs publics, pour éviter toute confusion public/public ; la concurrence par les prix et les mérites est la force qui doit régir les interactions entre les acteurs privés, pour monter en qualité et tirer le meilleur parti de leurs capacités d’investissement ; le principe de subsidiarité est la règle qui doit s’appliquer pour traiter les arbitrages public/privé, et éviter ainsi toute concurrence public/privé. Des principes je crois désormais acceptés par tous, mais qui n’ont jamais été appliqués complètement et avec rigueur à l’écosystème exportateur français.
Au-delà des principes il faudra une gouvernance et une force pour assurer la mise en œuvre de cette transformation.
La gouvernance c’est probablement un co-pilotage public-privé comme le propose le Medef, par exemple par le Ministre du Commerce International et un chef d’entreprise emblématique. La force pour la mise en œuvre c’est probablement Business France, car cette agence est la seule à disposer des compétences nécessaires ; mais pour cela, mais il lui faudra changer de positionnement : ne plus chercher à vendre ses propres services, mais devenir une plateforme qui crée un environnement export favorable et porte les solutions des autres.
Pour que cette révolution copernicienne réussisse il faudra aussi que les secteurs associatif et privé de l’accompagnement international, libérés des interférences négatives et désormais soutenus par les acteurs publics, soient beaucoup plus engagés et dynamiques pour fournir tous les services dont les entreprises ont besoin : que les acteurs associatifs créent davantage de réseaux, de collaborations inter-entreprises, de partages d’expérience, etc. ; que les opérateurs privés créent et proposent les solutions pour permettre aux exportateurs de construire et adapter leur marketing, de vendre partout quel que soit leur secteur et leur maturité export ; que les acteurs du monde de l’enseignement qui diffusent partout la pratique de l’international business et la culture du commerce international.
Est-il possible de mener une telle transformation ? On peut en douter tant ce sujet est un serpent de mer au sein de l’écosystème exportateur français. Mais il existe un exemple comparable qui doit nous inspirer : la French Tech. En 10 ans, cette initiative, où l’Etat joue un rôle d’ensemblier plus que de prestataire de services, a sorti la France d’un vrai retard digital et l’a amenée à une place respectable dans les classements mondiaux. Certes on partait de zéro, et il est parfois plus simple de créer un écosystème performant lorsque l’on part d’une page blanche ; mais ce déficit de 84 Mrds ne pourrait-il pas être l’événement qui nous donne la force de transformer notre écosystème exportateur ?