Fondateur et gérant du cabinet d’analyse des investissements industriels Trendeo, David Cousquer (photo) revient sur l’édition 2022 du Baromètre mondial des investissements industriels. Cette étude conduite par Trendeo, en collaboration avec le groupe Fives, McKinsey et l’Observatoire de la réindustrialisation recense et analyse chaque mois, l’ensemble des projets annoncés dans le monde. En la matière, après un rebond rapide post-covid l’an dernier, l’année 2022 devrait finir en recul, à environ 934 milliards de dollars de projets identifiés.
David Cousquer, quels sont les enseignements de votre enquête cette année?
Elle montre d’abord au plan mondial une chute de 20% en valeur de projets des investissements en raison sans doute de la guerre en Ukraine, ceci après un très fort rebond de 77% en 2021. En termes géographique, les Etats-Unis apparaissent très nettement comme la zone la plus dynamique. Cela s’explique aisément par l’accès à une énergie bon marché par comparaison à l’Europe notamment, à quoi on peut ajouter les effets du plan de Joe Biden (Inflation Reduction Act NDR) qui stimule un grand nombre de secteurs d’activité. Parmi les grandes questions de 2023 pour l’Europe en matière industrielle, figurent notamment la poursuite ou non du conflit en Ukraine, son impact sur le prix de l’énergie et la réaction au plan américain.
Que pèsent les Etats-Unis dans le baromètre cette année?
Ils représentent 23% des projets mondiaux après 28% en 2021, c’est presque deux fois mieux que leur niveau d’avant crise Covid. C’est une rupture majeure pour ce pays, on peut parler de réindustrialisation. L’Asie continue toutefois de dominer avec 53% des projets (dont près de la moitié en Chine, malgré les restrictions sanitaires) contre 49,5% l’an dernier.
Et l’Europe?
Avec 13% de la valeur des projets, l’Europe gagne trois points en un an mais reste loin derrière ses grands partenaires. Globalement l’Europe représente 17% du PIB mondial, donc il demeure un problème de sous-investissement industriel sur le continent. Nous ne sommes pas à notre rang. Par exemple sur les « mega investissements », ceux de plus de 5 milliards de dollars, l’Union européenne en reçoit 2%, les Etats-Unis 14%…
Des exemples de retards européens?
Nous avons mis en évidence plusieurs secteurs majeurs en forte croissance au plan mondial sur lesquels l’Europe n’est pas à la hauteur, je pense, bien sûr aux batteries et aux semi-conducteurs. En la matière, l’Asie domine de loin, suivie des Etats-Unis.
Dans un autre domaine d’avenir l’hydrogène; les entreprises européennes sont plutôt bien positionnées, mais pas sur des projets localisés sur notre continent.
En fait, on se rend compte que l’Asie n’est plus seulement dans une logique de rattrapage, mais d’avance technologique sur certains sujets critiques. Les Etats-Unis ont réagi très fortement ces deux dernières années, alors que l’Europe est encore dans la prise en compte du phénomène.
On parle beaucoup de raccourcissement des chaînes de valeur, qu’en est-il?
Du fait de l’inertie propre à l’industrie, les choses changent assez lentement mais vont plutôt dans ce sens. Je citerais un indicateur que nous mesurons, celui de la distance moyenne entre le siège d’une entreprise et la localisation de ses investissements. Depuis 2017, cette distance diminue de manière continue. Elle est aujourd’hui de 3032 km contre 3546 km en 2017. Par ailleurs, au plan mondial, la part des investissements industriels étrangers dans le total se contracte de manière notable depuis quelques années, dont en 2022. Enfin, il y a un fort recul des projets d’infrastructures logistiques et de connectivité.
Notez vous en France ou en Europe, à l’inverse, une poussée des délocalisations?
Non, la situation reste stable. Par contre de manière conjoncturelle, on relève des fermetures temporaires de sites liées à la hausse des prix de l’énergie. Cela reste un risque important pour 2023.
Dans l’énergie, la vague verte se poursuit-elle?
Il y a un peu plus de nucléaire, un phénomène lié aux investissements en Chine. Dans l’ensemble, les renouvelables progressent au plan mondial, surtout le solaire en forte hausse mais l’éolien est en net recul. Globalement les projets de production et distribution d’électricité qui avaient fortement chuté en 2021 font un bond de 60% à 200 milliards de dollars.
Dans l’hydrogène et l’ammoniac, sujets émergents, après une multiplication par neuf des projets annoncés en 2021, à plus de 180 milliards de dollars, la situation devrait se stabiliser autour de 70 milliards de dollars cette année. J’ajoute que dans les batteries, on avoisine les 90 milliards de dollars d’investissement cette année contre moins de 10 en 2016!
Quelles autres tendances en matière d’investissements liés au climat?
La décarbonation émerge comme un sujet. On voit naître partout dans le monde de plus en plus de projets industriels revendiquant d’être alimentés à 100% en énergies renouvelables, à savoir près de 70 projets pour plus de 25 milliards de dollars cette année. Huawei, par exemple, revendique près de Shenzhen la création du plus grand parc industriel sans émission de carbone au monde. Toujours en Chine, le groupe Envison projette une vaste zone industrielle « net zéro » à Ordos, en Mongolie intérieure.
Enfin un mot sur la Russie…
Les investissements étrangers ont disparu en Russie en 2022, et les investissements nationaux n’ont pas pris le relais pour les remplacer.