Sur la période 2023-2030, la coopération entre les pays européens sera d’autant plus précieuse que le Vieux Continent devrait très bientôt arriver dans une phase de cession de ses entreprises. Nombre d’entre elles vont en effet voir leurs dirigeants actuels partir à la retraite. En Allemagne, ce sont 600 000 entreprises seront cédées d’ici 2030, représentant un vrai potentiel de reprise pour les entreprises françaises et une opportunité de construire des groupes européens.
Florent Buschiazzo, responsable régional du bureau européen de BPI France, connait bien ce phénomène qui va s’accentuer dans les années à venir.
« Cet engouement concernant la croissance externe est motivé par la vague de liquidité des années 2021, 2022. Tous les pays ont été touchés par la crise de la Covid et tous ont reçu un flux énorme de liquidités pour pouvoir pallier les difficultés de trésorerie liées à cette pandémie. Il faut savoir que les années avant la Covid, les taux bancaires étaient plutôt bas, voire extrêmement bas. On a frôlé le taux zéro à certains moments, ce qui permettait d’apporter une liquidité énorme sur le financement des entreprises françaises et même en Europe. »
Ensuite, les marchés européens sont des marchés fermés ou très concurrentiels. L’Allemagne est notre premier partenaire, mais on investit aussi énormément pour vendre depuis l’Allemagne. Il y a à peu près 5000 filiales françaises en Allemagne, ce qui est absolument colossal. Pour capter ce marché, souvent l’une des meilleures solutions, c’est de racheter une entreprise déjà présente et déjà implantée avec un historique déjà clair. C’est-à-dire que si vous vous développez sur le marché allemand et que vous rachetez une société, peut-être votre concurrent, peut-être un distributeur, alors ça va coûter très cher et ça va être énergivore en capitaux. Une des façons de faire les plus représentés est de racheter une société qui est déjà existante et qui a déjà un portefeuille client, ce qui revient à racheter déjà un actif qui fonctionne.
De plus, le vieux continent européen voit toute une génération d’entrepreneurs partir à la retraite. C’est un sujet qui est peut-être un peu trop sous-estimé en Europe. Il y a toute une génération d’entreprises qui vont chercher à vendre et qui vont effectivement céder leur activité à un repreneur externe. Alors souvent, quand on parle d’Allemagne ou d’Italie, ça se joue dans la famille, mais on est à une génération, où l’on est moins enclin à suivre la destinée familiale. Ce constat évoque que le fameux « Mittelstand » allemand est en train de changer, alors naturellement la grosse majorité des transactions allemandes se jouera tout de même avec des repreneurs allemands ou de la famille, mais en tout cela laisse pas mal de place pour des repreneurs externes et notamment des repreneurs français. »
Il est très compliqué de chiffrer cette croissance externe. « Le continent européen représente à peu près une quarantaine de pays, c’est compliqué de dire combien d’entreprises sont cédées parce que la cession d’entreprise, c’est quelque chose qui est très sensible. On touche le patrimoine du dirigeant donc c’est quelque chose qui est hautement confidentiel. Il y a des études qui se font quand même. Près de 600 000 entreprises en Allemagne seront cédées. En Italie, on doit être aux alentours de 300 000 et la France, c’est à peu près la même chose. Les ordres de grandeur sont les mêmes parce que pour le coup, c’est toute une génération qui va partir à la retraite. De plus, on est dans une logique ou le marché des capitaux est de plus en plus fluide, en tout cas, en Europe, où les barrières fiscales sont de plus en plus atténuées, où il y a aussi des plans de relance un peu partout en Europe. »
On parle beaucoup de l’Allemagne, mais de nombreux pays sont aussi fortement touchés par ces cessions. « L’Allemagne possède les chiffres qui transparaissent le plus, car c’est le plus gros marché, mais aussi le plus gros écosystème. Tous les pays font l’objet de flux en termes d’investissement de croissance externe, L’Italie s’est environ 200 000-300 000 entreprises qui seront en vente en 2030, ce qui est beaucoup. On peut aussi évoquer l’Europe de l’Est comme la Pologne qui attire énormément de capitaux français. Le Maghreb, les États-Unis, la Chine également attire aussi beaucoup de capitaux étrangers. Avec BPI on travaille personnellement autant sur l’Espagne que sur l’Italie, l’Allemagne ou le Danemark… »
La cession d’entreprise est une opportunité de construire des groupes européens qui vont posséder plusieurs avantages. « Le fait de se concentrer sur l’Europe à plusieurs avantages, l’Europe est notre préambule, c’est chez nous, ce qui simplifie le process. De plus, le fait d’investir à l’étranger permet de pouvoir s’adosser sur une capacité de recherches et développement, une clientèle, un savoir-faire ou des capitaux particuliers et seul, nous Français, on ne peut pas y arriver face aux puissances chinoises ou américaines. Le fait de se concentrer à l’échelle européenne permet de directement passer à l’étape supérieure et d’avoir la force nécessaire pour résister à la concurrence étrangère. »
Cette croissance externe est une opportunité pour les pays européens, et pour la France en particulier. « Ces cessions permettent de capter un marché, des capacités de production, de racheter des distributeurs, des fournisseurs… et donc au final bonifier toute une chaîne de valeur et un groupement dont la tête est en France. Le fait de racheter une entreprise en Europe permet des débouchés importants. De plus, la France investie beaucoup, peut-être plus par rapport aux pays étrangers. On a donc cette facilité d’investir et puis c’est une opportunité pour les entreprises industrielles, des services, mais également des startups qui se développent de plus en plus en croissance externe. »
Les futurs repreneurs peuvent bénéficier d’aide de l’UE lors de la reprise d’une entreprise. « Chaque pays/régions ont une agence d’attractivité, souvent une agence gouvernementale qui permet de fluidifier les investissements étrangers en local. En France, on a exactement la même chose, ce sont les collectivités régionales, il y a aussi « Business France Invest » qui travaille pour fluidifier l’investissement étranger en France. Toutes les grosses villes ont des agences d’attractivité, ce qui va permettre d’apporter du conseil, un soutien en terme juridique, légal, extra-financier pour les repreneurs étrangers. »
Pour Florent Buschiazzo, il y a des choses primordiales à savoir si l’on est un futur repreneur. « Il est important de se faire accompagner, la croissance externe à l’étranger est quelque chose de compliquée, de long, et qui peut être très coûteux et donc engendrer des pertes monumentales si cela est mal fait. À l’inverse, c’est aussi une des plus grandes opportunités pour une entreprise, c’est généralement grâce à l’international ou une croissance externe à l’étranger que la vie de l’entreprise peut être bonifiée. Pour cela, il faut être bien accompagné, bien financé…, il faut avoir les reins solides, car c’est un projet de longue haleine. La vie d’une entreprise est la vie des humains qui la compose. Le volet culturel et humain est donc très important. Il faut connaître le pays dans lequel on veut s’installer, il faut savoir être très subtil. La « Team France Export » et notamment les Chambres de Commerce peuvent être aussi de bons interlocuteurs. La croissance externe, c’est long, parfois douloureux, mais ça peut surtout être très rentable à terme, il ne faut donc, pas se priver ! »
D’ici 2030, certains secteurs d’entreprises seront plus amenés à exporter. « On pourra compter sur le luxe, la pharmacie, la défense, l’aéronautique, les services de cybersécurité, l’énergie, l’industrie… Les groupes qui exportent aujourd’hui exporteront encore demain, car ce sont des secteurs très complexes où il y a des barrières à l’entrée, on ne peut pas prendre la place de quelqu’un en un claquement de doigts. »